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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/47

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tout maintenant, mais il me fallait en venir à cette franchise. »

Et en attendant le matin, au lieu de dormir, il supputa les chances qu’il avait de pouvoir l’épouser. Ils étaient du même âge tous les deux ; elle était entrée de plain-pied dans la célébrité ; lui n’y arriverait sans doute jamais ; ils étaient en tous points dissemblables, et elle ne semblait pas l’aimer. C’était donc de la démence que d’y songer. Pourtant il ne songeait qu’à cela.

Dans la journée du lendemain, il reçut un télégramme l’invitant à dîner, seul, rue de la Pépinière.

Il ne trouva Pierre Fifre ni fâchée, ni follement heureuse ainsi qu’une autre femme l’eût été. Nulle surprise en elle. Elle s’attendait à ce qui était arrivé. C’était un accident prévu de leur camaraderie. Elle lui dit affectueusement :

— Merci de votre lettre exquise.

Il s’y trompa d’abord. À demi mort d’anxiété, il l’écoutait, la dévorait des yeux. Elle avait dit ces mots avec une sorte de tendresse qui semblait agréer délicatement sa passion, lui sourire, presque l’appeler. Elle continua :

— Vraiment, rien ne m’a jamais touchée comme cette lettre. Vous qui prétendiez ne savoir pas écrire ! Je l’ai lue et relue ; elle est admirable. Pourtant elle m’a rendue très malheureuse. D’abord il m’en coûte de vous faire du chagrin, d’autre part vous êtes l’ami sur lequel je compte le plus, dont je me séparerais avec peine, et cependant, pour rester tel, il ne faudra plus me parler de ces choses, monsieur Cécile.