sous les torsions des fileuses. Il la suivait, depuis sa noix initiale jusqu’aux pièces de coton tissé jetées sur tous les marchés du monde. Élie, qui l’observait, comprit la méditation douloureuse de son père, et son cœur se serra. Peut-être le jeu du coton pour ce rêveur n’avait-il été qu’un grand sport. Le rêveur n’en avait pas moins perdu la partie, une partie débattue pendant trente ans, et la défaite était tragique.
Dans l’atelier des ouvreuses, les machines avalaient voracement le coton brut, tassé comme la laine d’un vieux matelas. Le roulement des cylindres et des courroies de transmission composait un bruit de tonnerre. Cinq femmes maigres et osseuses, dont la chemise s’échancrait sur la poitrine plate, allaient et venaient, saisissant de leurs bras d’hercules femelles les rouleaux où s’entortillait en s’effilochant le coton une fois ouvert. Trois ouvreuses ne marchaient pas. Dans le fracas où le tympan se sentait prêta rompre, M. Martin d’Oyse cria de toutes ses forces a l’oreille d’une ouvrière :
— Où sont donc vos compagnes ? Vous devriez être dix ici, voilà trois machines immobilisées.