Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/113

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mienne, elle a donné une signification à mon art qui se cherchait ; oui, Fontœuvre, depuis deux ans que je n’ai pas travaillé, j’ai plus progressé dans mon métier qu’en dix ans d’études. Les yeux de cette femme m’ont appris à voir, son intelligence à comprendre ; avant de la connaître, véritablement je n’étais qu’un apprenti.

À ce mot-là, une portière fut soulevée : Jeanne et Jenny parurent. L’admirable beauté de la voyageuse, maintenant nu-tête, le col long et dégagé, éclatait à la lumière. Son premier coup d’œil, en entrant, avait cherché Nicolas, Nicolas pour qui elle avait choisi sa robe, sa coiffure, à qui son premier sourire appartenait toujours, partout où elle le rencontrait. Et lui semblait aussi se repaître de sa vue, de ses lignes, de ses mouvements, de ses couleurs, comme si l’amour était pour lui une expérience profonde, continue, absolue de la Beauté.

À table, on discuta la question des appartements, et Jeanne ne prit la parole que pour parler de l’atelier. L’atelier devrait être tourné au levant, carré, vitré par le plafond et par un côté. Jenny pensait aux chambres, au salon, à la cuisine ; Fontœuvre vantait la rive droite, les quartiers neufs, les avenues aérées ; mais Jeanne revenait toujours à l’atelier. Il ne lui faudrait pas moins de cinq mètres de haut ; on tendrait un velum mobile sous le vitrage supérieur, et il était loisible de voir que tout le reste lui importait peu,