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Page:Yver Grand mere.djvu/128

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GRAND’MÈRE

— Oh ! non ; pas du tout même. Mais elle est comme ça…

Ils demeuraient là, devant la vitrine ruisselante de lumière, comme deux pauvres enfants perdus. Sabine cherchait à contempler la tante de Christian. Pour elle, c’était soulever un coin du voile sur cette famille fortifiée, défendue comme une place de guerre par des principes de ciment armé contre l’intrusion de tout élément social inférieur.

— Quelle belle femme, ta tante ! dit-elle à la fin. Est-ce qu’elle ressemble à ta mère ?

— Oh ! maman paraît infiniment plus jeune et ne porterait pas des chapeaux « province » comme sa belle-sœur en a un là !

Ensuite, ils ne savaient plus où aller. Christian finit par gagner le boulevard où ils entrèrent dans le premier grand café venu pour prendre deux verres d’un porto sans moelleux qui grisa à demi Sabine. Ils revinrent à Grenelle à sept heures passées. Christian commit même l’imprudence de déposer son amie au coin de la rue Saint-Charles et de l’impasse et lui donna rendez-vous pour le surlendemain. Dans le vertige du vin capiteux, elle se défendit mollement, dit qu’elle ne devait plus le revoir, que pour elle un amour ne comptait pas qui n’était pas pour toute la vie.

— Mais qui te dit que le nôtre n’est pas pour toute la vie ?

Et il prononça même cette phrase si lourde de dangers :

— Qu’y a-t-il de changé depuis hier entre toi et moi ?

Effectivement, Christian paraissait toujours le même et Sabine l’adorait plus que jamais. Alors, pourquoi briser des liens tellement innocents ? Pourquoi se séparer ? Et elle finit par promettre d’être ponctuelle au rendez-vous deux jours plus tard.

Ce soir-là, chez les Cervier, on n’entendit que Sabine. Il était rare qu’elle parlât à table. Et voilà qu’elle ne tarissait plus. Des histoires sur les clientes de Mamy : la dame de la rue de la Convention qui prétendait qu’on lui rabattît quinze francs sur un blouson de soixante auquel Sabine avait travaillé trois après-midi ! Celle de la rue Beaugrenelle qui paraissait largement