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Page:Yver Grand mere.djvu/130

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GRAND’MÈRE

— Tu gagnes de l’argent chez la grand’mère mercière, ne m’as-tu pas dit ? Raconte-leur que c’est une occasion extraordinaire que tu as trouvée chez un soldeur.

Il en fut ainsi. Marie Cervier, ravie devant le petit prix qu’énonça la jeune fille, se montra satisfaite qu’elle eût profité d’une telle aubaine. La petite Blanchette qui grandissait et raffolait de la toilette, joua à la dame et fit sa coquette avec le petit-gris enroulé deux fois autour de son cou. Il n’y eut que Grand’Mère pour ne pas souffler mot devant cette scène de la fourrure. Sabine en restait un peu gênée et soucieuse…


Et puis vint ce soir d’une belle journée claire de janvier où il semblait que le soleil eût prolongé sensiblement sa course depuis la veille. Christian était arrivé le premier au rendez-vous qui, afin de dépister les curieux éventuels, était donné tantôt à Auteuil, tantôt rue de la Convention. Il faisait encore grand jour quand Sabine, ayant passé le pont d’Auteuil, arriva essoufflée. Elle sentit une violence dans le geste qu’il eut de la saisir pour la fixer, eût-on dit, l’assujettir à son côté. Elle lui demanda :

— Qu’as-tu, Christian ? il me semble que tu es fâché contre moi.

— Fâché ? moi ? et contre toi ? Ah ! Sabine, si tu savais !… C’est-à-dire que je t’aime de plus en plus, que je ne t’ai jamais tant aimée que ce soir. Mais c’est toi qui n’as pour moi qu’un caprice de petite fille. La grande preuve d’amour, sans réticence, sans arrière-pensée, sans réserve, tu ne me l’as jamais donnée ! Tu demeures toujours comme en cérémonie avec moi. Je suis toujours un étranger à tes côtés, un camarade que tu aimes bien, certes, mais pas assez pour être toute à lui, toute, tu comprends, Sabine chérie, dont le mystère profond m’échappe toujours ?

— Mais, Christian, reprit-elle tremblant comme une feuille devant cette agression à la fois tendre et menaçante, je ne puis pas être à toi tout à fait, puisque tes parents exigeront un jour que tu en épouses une autre.

Ils pourront toujours l’exiger. Je ne m’y prêterai pas. Je ne me vois pas lié pour la vie à une autre