Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/119

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Si ce n’est pas moi, tripes du pape ! Je cède ma part à celui de vous qui me cédera sa place. Et cela lui fera trente-trois mille cent trente-deux livres et des sols."

Les spadassins se regardèrent, les lèvres serrées.

"Moi, dit enfin Bazorges, ni pour or, ni pour argent, je ne cède ma place et pourtant, ventre du pape, je suis pauvre comme le Job des Ecritures saintes !

— Moi, dit Pontrailles qui portait une bande de taffetas noir sur son œil crevé, je donnerais l’œil qui me reste plutôt que de céder ma place à l’hallali !

— Moi, dit Louvignac, je poignarde celui de vous, messieurs, qui tenterait de me voler ma place au cas où j’arriverais bon premier pour daguer la bête !

— Eh bien ! s’écria Rinaldo, convenons au moins de le frapper tous ensemble !"


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Pendant que sous les frais ombrages se tenait ce conciliabule funèbre, le chevalier de Capestang cheminait aux côtés de Louis XIII.

Le roi chevauchait silencieux et la tête baissée. L’aventurier, le front rayonnant, raidi dans une attitude d’orgueil, songeait que sa fortune était faite. Il se voyait au Louvre. L’or et les honneurs pleuvaient sur lui… et il se disait, avec un indescriptible sourire de triomphe :

"Je n’aurais jamais cru qu’il fût si facile de faire fortune !"

Comme ils arrivaient aux portes de Paris, Louis XIII s’arrêta et dit :

"Merci de m’avoir escorté, chevalier.

— Sire, c’est moi qui suis reconnaissant à Votre Majesté d’avoir mis un souvenir aussi honorable dans ma vie."

Le roi fit un léger signe de tête, et reprit :

"Souvenez-vous du mot que je vous ai dit. Lorsque vous aurez besoin de me voir, de jour ou de nuit, venez au Louvre, demandez Vitry et prononcez le mot."

En même temps, Louis XIII rendit les rênes et partit au trot. Cinq minutes, Capestang demeura sur place, tout étourdi.

"Oh ! oh ! fit-il enfin, est-ce qu’il serait plus difficile de faire fortune que je ne l’imaginais ? Il me semble que je la vois s’éloigner bon train, la déesse à l’unique cheveu ! Bah ! Pourquoi diable n’aurait-elle qu’un cheveu, la fortune ? Pour moi, corbacque, elle aura une perruque !"

Il se mit en route assez mal content et réfléchissant profondément à sa situation qui lui apparaissait hérissée de dangers. Ces quatre paires d’yeux flamboyants qui, là-bas, sous le sapin, l’avaient dévisagé, ces yeux terribles de Concini, de Richelieu, de Cinq-Mars et d’Angoulême lui avaient crié qu’il était condamné à mort. De ces quatre personnages, Capestang n’en connaissait que deux : Concini et Cinq-Mars. Il n’avait pas reconnu Angoulême sous son masque, et quant