Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/12

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Laide, soit ! il est des laideurs harmonieuses. Mais que tout au moins sa présence fût supportable à l’homme qu’elle adorait d’un amour exclusif, absolu : son mari !

Et alors, tout cet étalage de coquetterie eût pu sembler touchant. Et alors, on eût assisté à la transformation magique opérée sur cette laideur par une puissante volonté. Peu à peu, les difformités disparaissaient ; les deux épaules s’égalisaient, la taille se redressait, la bouche reprenait des proportions normales, et, dans cet ensemble rectifié, corrigé, rebâti de toutes pièces, les yeux noirs brillaient d’un éclat plus doux. Léonora était presque belle !

Ce jour-là, lorsqu’elle se fut, non pas regardée, non pas admirée, mais inspectée dans une immense glace – présent et hommage de la république de Venise — elle se tourna vers la suivante favorite qui était initiée seule à ce prodigieux travail de tous les matins :

"Marcella, demanda-t-elle froidement, tu dis que Rinaldo est sur la piste de Giselle d'Angoulême ?

— Je le dis, madame. Je répète qu’on trouvera le duc d’Angoulême et sa fille dans la maison de Meudon que je vous ai signalée. Mais, madame, il n’y a pas encore de mal : M. le maréchal ignore sûrement que celle qu’il aime est la fille du duc d’Angoulême..."

Léonora ne l’écoutait plus. Les deux étoiles noires de ses yeux se voilèrent d’une larme qui s’évapora à la fièvre des joues. Elle serra, d’un geste désespéré, ses mains l’une dans l’autre :

"Il l'aime ! Oh ! celle-là, ce n'est pas un caprice ! Il l'aime ! Et moi ! Pas un regard, pas un sourire ! Malheur sur moi ! et malheur sur elle !"

À pas rapides, elle se dirigea vers le cabinet de Concini, parvint à la porte secrète, écouta un instant, puis entra. Concini pâlit. Rinaldo s’éclipsa.

"Concino, dit Léonora en couvrant son mari d'un regard de tendresse, j'ai voulu vous voir avant d'aller au Louvre prendre mon service auprès de la reine Marie. M. de Richelieu sort de chez moi. Il m'a appris des choses fort graves...

— De quoi se mêle ce prêtre blafard ? gronda Concini en fronçant les sourcils.

— Ne vous fâchez pas, mon Concinetto... M.de Luçon nous est dévoué, et c'est encore un service qu'il nous rend.

— Eh ! qu'a-t-il pu vous apprendre ? Qu’on crie fort après moi, après vous, après les Florentins maudits ? Que le peuple s’exaspère ? Qu’il ne veut plus payer ? Qu’enfin, cela tourne mal pour nous ?... Auriez-vous peur, cara mia ?

— Je n'ai pas peur, Concino, dit froidement Léonora. Mais, sachez-le : c'est d'une vaste conspiration qu'il s'agit. Concino, on veut enlever le roi, le déposer, le tuer peut-être, et nous par la même occasion. A la tête de cette conspiration se