Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/275

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vous humilierai pas, non. Un Bourbon peut bien tuer un Bourbon comme vous vouliez faire de moi. Mais l’humilier, ventre-saint-gris, comme dit mon père, je passerais mon épée au travers du corps de celui qui voudra humilier un Bourbon."

Condé tremblait convulsivement. Sa pensée éperdue évoquait l’échafaud, Il voyait Ornano qui le considérait avec un mépris formidable, Il voyait Vitry l’épée à la main. Il voyait le jeune roi qui faisait un terrible effort pour dompter sa fureur. Ces personnages lui apparaissaient à travers un brouillard rouge.

"Donc, reprenait Louis XIII, vous ne vouliez pas m’humilier, vous ?

— Non, sire ! répondit Condé avec le désespoir du condamné.

— Alors vous me vouliez tuer ?

– Non, sire !

— Alors, vous me vouliez déposer de mon trône comme on voulut faire d’Henri III ?

— Non, sire !"

Louis XIII souffla fortement. Il était visible qu’il luttait contre la colère qui se déchaînait en lui, et qu’il ne savait peut-être pas comment exprimer. Il regarda Ornano, puis Vitry, puis ramena sur Condé un regard sanglant et, tout à coup, il éclata de rire. Ce fut effrayant. Ce rire funèbre, glacial dans le sinistre silence du vaste cabinet.

"Oh ! songea Capestang. Mais il va le tuer ! Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu, moi ! Mais je ne veux pas qu’on le tue, moi ! Je ne suis pas un pourvoyeur de bourreau, moi !

— Je ne donnerais pas six liards de sa peau ! songeait Vitry.

Disgraziato ! (Malheureux !)" songeait le maréchal.

Le roi essuya la sueur qui coulait de son front. Habitué à vivre seul replié sur lui-même, se défiant de tout et de tous, déjà il faisait l’apprentissage de la dissimulation qui est d’ailleurs la qualité maîtresse des rois en particulier et de tous les gouvernants en général.

"Mon cousin, dit-il de cette voix hésitante qui lui était particulière, je veux vous régaler d’une historiette que bien peu de personnes savent et que je tiens, moi, de M. d’Ornano, ici présent. Vous saurez donc que le maréchal de Joyeuse accompagnait mon père dans le voyage qu’il fit à Rouen. Vous n’ignorez pas que Joyeuse avait été capucin, puis, ayant quitté son couvent, qu’il était devenu un des chefs de la Ligue. Je veux vous apprendre qu’il ne rentra dans son devoir qu’en stipulant par traité secret qu’il aurait le bâton de maréchal. Étant donc devenu maréchal de cette façon-là, il vint à Rouen avec Henri IV et, comme les peuples accouraient en foule pour voir ce grand roi, mon père dit à Joyeuse qui se trouvait près de lui en justaucorps de