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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/279

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dégageaient, soupira et songea :

"C’est tout de même une glorieuse chose que la royauté. Si j’étais roi, Je pourrais m’asseoir à cette table et tâter un peu de ces mets qui doivent être royaux, puisqu’on les habille d’argent. Mais je ne suis que le chevalier de Capestang... Bah ! je regarderai le roi manger, il paraît que c’est un grand honneur, et puis cela me donnera de l’appétit."

Si Capestang fut étonné, il y eut quelqu’un de plus étonné que lui : et ce quelqu’un c’était le roi ! Jusque-là, quand il demandait son dîner ou son souper, on le conduisait dans une salle à manger où il s’asseyait devant une table assez mal servie. Un instant, Louis XIII demeura tout pensif devant ces honneurs auxquels il n’était pas accoutumé.

"Pourquoi m’apporte-t-on mon souper ici ? demanda-t-il. Et pourquoi avec ce cérémonial ?

— Sire, répondit une voix soyeuse et caressante, en ma qualité de surintendant du palais, c’est moi qui ai donné l’ordre d’apporter ici la table de Sa Majesté. Et quant au cérémonial, c’est celui dont on usa toujours l’égard des grands rois !"

Et Louis XIII vit s’incliner devant lui celui qu’Ornano lui conseillait d’arrêter : Concino Concini ! Capestang avait tressailli. Un frisson de colère le secoua. Presque malgré lui, il porta la main à la garde de sa rapière. Mais déjà Concini, sans paraître l’avoir vu, sortait à reculons, tout courbé, marche et attitude ne formant qu’une longue révérence jusqu’à ce qu’il eût disparût. Louis XIII, d’un geste, ordonna aux hallebardiers et officiers de bouche, de sortir également.

"Mais, sire, observa respectueusement le lieutenant de garde, qui servira Votre Majesté ?

— Bah, monsieur ! je ferai comme mon père le soir de la bataille d’Arques : je me servirai moi-même ! Mettez-vous là, devant moi, monsieur le chevalier, et soupons, car vous devez mourir de faim, et moi j’enrage."

Le bruit se répandit aussitôt dans le Louvre que le roi faisait familièrement manger à sa table le jeune chevalier de Capestang et, dès lors, plus d’un gentilhomme se mit à guetter la sortie du nouveau favori pour lui faire sa cour. Concini avait rapidement franchi deux ou trois salles. Il était livide. Comme dans ses crises de fureur, ses lèvres moussaient.

"Va, gronda-t-il, va, misérable fier-à-bras, intrigant ! sacripant ! Capitan ! Soupe à la table du roi ! cette nuit, tu souperas à la table du diable, ton patron !"

Au palier du grand escalier, il trouva Rinaldo qui l’attendait.

"Tout est-il prêt ? demanda Concini.

— Jugez-en, monseigneur : Montreval et Bazorges dans l’antichambre. Louvignac dans le bas de l’escalier. Pontraille dans la cour. Et moi ici pour surveiller à la fois l’escalier et