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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/291

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l’incendie qui hurlait, se regardèrent, livides, haletants, hagards, comme s’ils eussent emporté une ville d’assaut et combattu une armée !


Cogolin, la veille, avait suivi son maître dans cette fabuleuse marche à travers Paris soulevé ; il avait assisté à cette chose inouïe : Capestang traînant jusqu’au Louvre le chef de l’émeute, le prince de Condé qui eût dû être le maître et qui se trouvait prisonnier.

"Le moins qui puisse arriver à M. le chevalier, ruminait-il, c’est d’être jeté à l’eau, ou peut-être pendu à quelque enseigne. Et si l’on pend ou si l’on noie mon maître, que me fera-t-on à moi ? On m’écorchera, peut-être ! Ah ! pauvre Cogolin !"

Nous devons ajouter à l’honneur de Cogolin que, bien qu’il se crût perdu, il emboîtait le pas et surveillait les moindres gestes du prince prisonnier. La traversée du Pont-Neuf, les bourgeois en armes, les clameurs, ces vastes bouillonnements de foules à travers lesquelles il se sentait emporté comme une paille, l’arrivée au Louvre, l’entrée de Capestang et du prince de Condé, toutes ces visions se succédèrent comme autant de rêves fantastiques. Et lorsque Cogolin vit que non seulement le chevalier avait passé sain et sauf, mais encore qu’il avait entraîné le prince dans le Louvre, il demeura ébahi, les yeux écarquillés, et murmura : « Corbacque ! »

Lorsque Cogolin se permettait le même juron que le chevalier, c’est qu’il était hors de ses esprits. Combien de temps demeura-t-il là, partagé entre la stupeur de se voir encore vivant et l’admiration que lui inspirait son maître, il ne s’en rendit pas compte. Lorsqu’il regarda autour de lui, il vit que la situation avait étrangement changé.

Le mot trahison courait de bouche en bouche. Le tumulte s’apaisait. Une inquiétude pesait sur les groupes nombreux qui voulaient espérer encore. Cette inquiétude se changea en terreur lorsqu’on vit sortir une compagnie de mousquetaires et une autre d’arquebusiers qui tenaient allumées les mèches de leurs arquebuses. Et lorsque le vieux maréchal d’Ornano apparut criant que le prince s’était soumis au roi et que les compagnies allaient faire feu sur les rebelles, les bourgeois s’enfuirent, jetant leurs pertuisanes pour courir plus vite.