Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/303

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ils ? Où sont Lux et Brain ? Demandez-le à la Seine et elle vous dira peut-être jusqu’où elle a roulé leurs cadavres sanglants."

Ils ne bougeaient ni l’un ni l’autre. Leurs faces se touchaient presque. Concini grinça des dents.

"Voyons, poursuivit-il, vous m’avez forcé à venir. Que me voulez-vous ? Écoute, Léonora, tu m’as d’abord enlevé Giselle, c’est-à-dire tout ce que j’aime. Tu m’as ensuite enlevé Capestang, c’est-à-dire tout ce que je hais. Tu as donc agi comme mon ennemie mortelle. Tu sais ce qu’est notre mariage : une association pour la conquête de la fortune et pouvoir. Il fut formellement convenu entre nous qu’il ne serait jamais question d’amour de toi à moi, de moi à toi. Il fut entendu que nous serions libres. Jamais je ne me suis inquiété de savoir si tu avais un amant. Est-ce vrai ? Va, viens, sors, rentre, jour ou nuit : t’ai-je une seule fois demandé des comptes ? Pourquoi m’en demandes-tu, à moi ? Je ne te haïssais pas ! Au contraire, j’admirais ton esprit fécond, ta force d’âme, et je me fiais à ton ambition pour faire aboutir la mienne. Entraîné par le vol vertigineux de tes ailes puissantes, j’étais sûr de monter au faîte des grandeurs. Pourquoi t’es-tu mise à m’aimer ?"

Il la fixa rudement, de ses yeux où les afflux de sang mettaient des filaments rouges. Et elle écoutait, impassible, pareille à un marbre, l’homme aimé, l’homme adoré lui dire bouche contre bouche qu’il aimait une autre et que jamais il ne l’aimerait, elle ! Jamais ! Seulement deux larmes roulaient sur ses joues livides, silencieusement. Elles descendaient, tombaient puis, deux autres jaillissaient, et sans arrêt, sans frémissement, Léonora pleurait.

"Qu’as-tu fait de Giselle ? reprit Concini au bout d’un court silence qui leur parut à tous deux d’une mortelle longueur. J’aime cette fille. Je l’aime. Je sens, je devine, je sais que tu ne l’as pas tuée. Tu la réserves pour je ne sais quoi... Tu m’as d’abord juré que je la reverrais. Où ? Quand ? Le moment est-il venu, dis, Léonora ? Est-ce pour cela que tu m’as appelé ? Ah ! maudite ! maudite ! Tu me vois souffrir, tu vois que je ne vis plus, tu vois que cette passion insensée me ronge peu à peu, et me tue, tu vois que je vais à la folie, tu sais mes nuits sans sommeil, mes affreuses nuits pleine de sanglots, car tu viens écouter à ma porte, tu sais tout cela, Léonora spectre de jalousie, et tu n’as pas pitié ! Et c’est cela qui te rend forte ! Tu sais que je ne puis te tuer tant que tu la tiens en ton pouvoir..."

À son tour, Concini fut secoué d’un sanglot. Alors, Léonora, dans un souffle, prononça :

"Concino, tu la reverras."

Concini tressaillit. Longuement, il fixa ce visage sur lequel