Aller au contenu

Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les abords de l’hôtel. Je reconnus à l’instant un grand seigneur à qui j’avais eu occasion de rendre quelques services.

— Qui était cet homme ? murmura Léonora sourdement.

— Vous allez le savoir. Pour le moment, appelons-le le marquis. Il me reconnut aussi et se montra fort joyeux de la rencontre. J’abrège, madame ; le marquis m’emmena souper en son hôtellerie, me raconta qu’il était amoureux de la dame blanche, à en perdre la raison et me demanda de composer quelque philtre d’amour comme je lui en avais fourni déjà à Paris. Que croyez-vous que je répondis, madame ? Le dernier des routiers, le plus féroce de ces manants qui m’avaient poursuivi, le bourreau lui-même, toute créature humaine enfin, eût répondu : « Monsieur, vous me demandez de vous aider à commettre une infamie contre une femme qui vient de me sauver la vie. Adressez-vous à quelque autre, je vous prie. » Mais moi, madame, je suis né pour la haine. Dans vos veines à vous, c’est du sang qui circule ; dans les miennes, c’est du fiel. A la demande du marquis, je me mis à rire, et je trouvai je ne sais quelle effroyable volupté à songer que j’allais causer le malheur de cette douce créature de Dieu, Voici donc ce que je répondis : « Monsieur le marquis, les philtres d’amour sont inutiles ici. J’habite l’hôtel de la dame blanche. Venez ce soir à minuit. Vous trouverez ouverte la porte du jardin. Vous tournerez autour de l’hôtel, à gauche. Contre la troisième fenêtre, vous trouverez une échelle que j’y aurai dressée. Vous n’aurez qu’à monter. Je trouverai le moyen d’entrer dans cette chambre et de vous ouvrir la fenêtre. Or, cette chambre, c’est celle de la dame blanche. Le reste vous regarde. » Le marquis m’embrassa, m’appela son sauveur, et me remit cinquante ducats d’or que j’empochai."

Lorenzo demeura quelques minutes pensif. Léonora s’était accoudée à une table, et la tête dans la main, les yeux fermés méditait.

"Tout se passa comme il avait été dit, reprit-il. J’ouvris la porte du jardin. Je plaçai l’échelle. Par un cabinet je trouvai le moyen de m’introduire dans la chambre où dormait la dame blanche, et j’attendis minuit pour ouvrir la fenêtre. La dame blanche dormait d’un sommeil agité. J’eus l’audace de m’approcher d’elle, et je vis qu’elle devait être en proie à quelque triste rêve, car des larmes roulaient entre ses paupières fermées. Cela me produisit une étrange impression, et, depuis, dans mes rêves à moi c’est toujours ainsi que je la vois, avec ses yeux fermés qui pleurent. Tout à coup, la fenêtre s’ouvrit violemment, quelques vitraux volèrent en éclats, le marquis sauta dans la chambre : dans ma contemplation, j’avais laissé passer l’heure, et lui s’était impatienté. La dame blanche se réveilla en sursaut. Le marquis s’avança pour la saisir... Et moi, je me mis à rire. On m’eût tué à ce moment-là, que je n’aurais pu m’empêcher de rire. Il doit y avoir en