Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/369

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

"Vous avez une figure à tuer les gens, rien qu’en les regardant à travers vos lunettes…

— Monsieur a toute sa connaissance, dit l’homme noir. Le julep a fait merveille. Encore une douzaine de petites saignées et, dans un mois il n’y paraîtra plus. La fièvre s’en va.

— La fièvre t’étouffe toi-même ! rugit le chevalier. Essaye un peu de me saigner ! Ah ! misérable, je ne m’étonne plus d’être si faible ! Drôle, tu as profité de mon sommeil pour m’enlever au moins une pinte de sang !"

Le médecin – car c’en était un – tirait déjà sa lancette. Mais le chevalier, saisissant son oreiller, le lui envoya à la tête à toute volée.

Le médecin battit précipitamment en retraite vers la porte, mais avant de la franchir, il se retourna pour crier :

"Vous serez saigné, où j’y perdrai mon bonnet de docteur !

— Drôle ! Faquin ! Je te saignerai comme un poulet, je te larderai, je te ferai cuire dans ton jus !"

On ne sait jusqu’où se fût portée l’exaspération du chevalier, si l’homme blanc, après avoir escorté le médecin jusqu’à la porte, ne fût revenu vers le lit en disant :

"À propos de poulet, monsieur tâterait-il bien d’un de nos chapons ?

— À la bonne heure, voilà qui est parler, mon ami ! Quel est ce misérable ruffian qui sort d’ici et qui me veut assassiner ?

— Ah ! c’est un bien grand médecin.

— Et vous, mon cher, qui êtes-vous ?

— Pour vous servir, je suis maître Gorju, patron de l’hôtellerie des Trois-Monarques.

— À la très bonne heure ! Voilà une profession avouable. Eh bien ! mon cher monsieur Gorju, c’est très volontiers que j’accepterais un cartel d’un de vos chapons, à condition qu’il entre dans la lice cuirassé de quelque bon pâté et escorté de deux flacons de vin d’Anjou."

L’hôte fila avec la rapidité d’une hirondelle et bientôt reparut accompagné d’un garçon qui portait une petite table toute servie. Il aida à se lever et à s’habiller le chevalier, à qui la tête tournait bien encore un peu, mais qui, somme toute, se vit de force à diriger une bonne attaque sur le chapon. Maître Gorju, après avoir soigneusement fermé la porte, le servait avec des attentions délicates.

"C’est charmant, pensait le chevalier, et ceci m’a tout l’air d’être le pendant de ce fameux dîner que je trouvai impromptu dans le château enchanté de Meudon."

Ce souvenir en éveillant d’autres, l’image de Giselle se présenta à lui, et il en éprouva une telle angoisse qu’il laissa retomber la cuisse de chapon qu’il tenait à la main.

"O mon Dieu ! s’écria l’hôte, est-ce que votre faiblesse vous reprend ?