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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/395

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et moi. Voilà la fortune ! murmura-t-il avec un sourire mélancolique. Et dire que je devrais déjà dix fois avoir fait fortune ! Et dire qu’il y a derrière le mur de ce vaste palais un roi qui me doit trois ou quatre fois la vie et deux ou trois fois son trône ! Si j’allais demander à dîner à Sa Majesté Louis XIII ? Mais non ! Sa Majesté m’appellerait Capitan ! Au fait, je me suis promis de me venger du roitelet, et de tirer de la Bastille ce pauvre prince de Condé, qui ne m’a rien fait, à moi ! Corbacque ! je démolirai la Bastille, je la prendrai d’assaut !"

Déjà, son imagination battait la campagne ; déjà, il se redressait ; déjà, il se voyait délivrant le prince de Condé, lorsqu’un violent tiraillement intérieur l’informa des rêves de son estomac : rêves qui n’admettaient aucun atermoiement. Il glissa mélancoliquement sa maigre bourse, c’est-à-dire sa livre, ses trois sols et ses huit deniers dans sa poche, et, pour ce faire, se pencha un peu sur sa gauche, en murmurant :

"Que n’ai-je quelqu’un de ces diamants de madame ma mère que je vendis à Trémazenc, car alors je..."

Il tressaillit. Il demeura bouche bée. Le rêve touchait la réalité ! Le rêve luisait, resplendissait, là, à sa gauche, à la garde de sa rapière ! La rapière que lui avait donnée le comte de Montmorency-Bouteville ! Cette garde était ornée, selon la mode des riches seigneurs, de beaux diamants ! Capestang demeura dix minutes immobile de stupeur. Mais il eut une courte hésitation. Puis, tirant son épée (c’était bien son épée, corbacque !) avec la pointe de son poignard il déchaussa les pierres précieuses. Puis, d’un bon trot, il se rendit tout droit dans la Cité, pénétra dans l’échoppe d’un juif et montra ses diamants. Le juif pesa les pierres, les examina, les étudia à la loupe, et finalement compta trois cents pistoles sur le coin de son établi. Capestang engouffra tout cet or dans ses poches et, ébloui, se crut riche pour une année au moins. Mais, à peine eut-il empoché les trois mille livres que la figure un peu hautaine de Bouteville se dressa dans son imagination. Et il entendit le comte lui dire d’un ton pas très agréable :

"Ce n’était pas la peine de prendre vos grands airs et de refuser les deux cents pistoles que je vous offrais !"

Cette pensée rendit notre aventurier maussade jusqu’au moment où il se vit attablé devant une nappe éblouissante, couverte de choses dont l’aspect seul réjouissait la vue. Il n’y a que le parfum d’une bonne cuisine pour mettre en fuite la tristesse. Le fumet d’un flacon vénérable chasse les fumées de l’amertume vaine. Capestang avait le bonheur de vivre à une époque où l’on dînait – quand on dînait, toutefois ! Il en résulta que ses pensées d’amertume s’enfuirent et qu’à la deuxième bouteille il eut cette inspiration géniale :

"Parbleu ! M. de Montmorency-Bouteville porte une rapière que j’ai illustrée ; cela valait au moins trois mille