Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/458

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reconnut d’instinct. Il le sentit. Il le flaira. Il le reconnut à sa haute stature, à son port de tête insolent, à sa façon de marcher entre ses deux compagnons, un peu en avant, à cette attitude d’orgueil que ne peut éviter aucun des hommes que leurs semblables choisissent pour maître.

Le cœur de l’aventurier se mit à battre, tic tac, à toute volée. Au loin sonnait le tocsin. Le cœur de Capestang sonna le tocsin et le rappel. Lui aussi, il sentit une flamme brûlante envahir son front. Lui aussi, il se redressa sous la poussée d’un immense orgueil. Des pensées éperdues battirent leurs ailes dans son imagination exaspérée. Son âme se haussa jusqu’à la grandeur tragique des événements qui se déroulaient. Il eut le geste frénétique d’un capitan sublime, et à lui-même il se murmura :

"Si cet homme tourne vers le Louvre, je le tue ! En ce moment, les destinées de ce grand royaume sont dans la main de l’aventurier sans sou ni maille, ni logis, ni raison d’être au soleil ! En ce moment, c’est la rapière du Capitan qui va tourner cette page de l’histoire de France !"

L’instant d’après, il eut un long soupir. Ses traits convulsés se détendirent. Guise ne marchait pas au Louvre ! Guise se frayait un chemin à travers la foule échevelée, hurlante, et bientôt gagnait le pont, le manteau sur les yeux, pour n’être pas reconnu. Bientôt les ponts étaient franchis, et, la Cité traversée, la rue de la Huchette dépassée, Guise remonta tout droit la rue Haute-Feuille. Capestang se frappa le front.

"Il va à l’hôtel de Condé ! murmura-t-il. Ces ombres que j’ai vues se glisser tout à l’heure vers la grande porte de l’hôtel, ce sont les amis de monsieur le prince ! Cela va être ici la foire aux fidélités et aux dévouements. Deux ou trois cents bonnes épées sont à l’encan. Il y a acheteur... Pauvre Condé qui se dépérit là-bas de misère, il ne se doute guère que ce soir son cousin de Guise achète en bloc toute sa maison."

L’aventurier avait laissé prendre une certaine avance aux trois gentilshommes. En effet, la rue était paisible. derrière lui, vers delà la Seine, Paris grondait, et il entendait le furieux ressac des vagues humaines. Mais là le silence était profond. Il lui semblait s’enfoncer dans un gouffre de silence... Capestang se demandait :

"Que vais-je faire ?"


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Au moment où Guise, ayant traversé la place de Grève, entrait sur le pont Notre-Dame, un homme qui, depuis un instant, le suivait pas à pas le bouscula, comme s’il eût été poussé sur lui par un mouvement de foule. Une seconde, Guise lâcha son manteau et son visage demeura à découvert, éclairé par le reflet des torches qui illuminaient cette scène. L’homme grommela une excuse et disparut. Il fit un signe à deux autres, lesquels, à leur tour, répétèrent le signe à trois