Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/493

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présence de Cogolin le gênait un peu. Il eût préféré que cet homme s’en allât.

"Oh ! balbutia Cogolin après avoir jeté un regard de terreur sur les deux acteurs de cette scène qui dégageait une fantastique épouvante, on dirait que la Mort est ici !..."

Il claquait des dents. Il voulait s’en aller. Il eut un mouvement de retraite. D’un geste désespéré, Lorenzo lui saisit les deux poignets, et, avec cette force irrésistible que donnent parfois les convulsions d’agonie, attira à lui Cogolin, le força à se pencher, et murmura :

"Ne vous en allez pas ; cet homme veut me tuer !"

Cogolin, éperdu, en proie à toutes les affres des terreurs superstitieuses, claquant des dents, bégaya, bredouilla quelques mots imperceptibles qui ne parvinrent pas à l’oreille de Belphégor. Mais ces mots, Lorenzo les entendit, lui ! Ils résonnèrent en lui comme un coup de tonnerre. Une joie intense flamboya dans ses yeux. Il eut un soupir rauque, chancela, et, au fond de sa conscience, éclata ce cri :

"Maintenant, je puis mourir... La mort ! L’expiation ! La rédemption ! Dieu veut que je meure ici, puisqu’il n’a pas besoin de moi pour sauver celle que j’ai trahie... puisqu’il m’envoie cet homme !"

Et alors, une étrange sérénité s’étendit sur les traits du nain. Voici ce que Cogolin venait de prononcer :

"Ah ! ce n’est pas pour moi, seigneur sorcier ; c’est pour mon maître, pour M. de Trémazenc de Capestang."

Lorenzo avait lâché les mains de Cogolin, qui en profita pour esquisser un mouvement de retraite vers la porte. Et alors commença une scène de fantasmagorie, macabre et comique, d’une signification burlesque et effroyable.

Il s’agissait pour Cogolin de se tirer au plus tôt de ce guêpier, de cet antre où il sentait passer le souffle de la mort. Il s’agissait pour Lorenzo d’expliquer à cet homme, à demi fou de peur qu’il fallait prévenir le chevalier de Capestang ! qu’il fallait l’envoyer à Meudon au secours de Giselle ! Et il fallait dire tout cela sans prononcer aucun nom ! ni celui de Capestang, ni celui de Meudon, ni celui de Giselle.

Sur tous deux pesait le regard de Belphégor.

"Voyons ! s’écria Lorenzo d’un ton de bonne humeur, que voulez-vous pour vos cinq pistoles, mon brave ? Parlez hardiment, que diable !"

Il riait. Sa physionomie n’exprimait que douceur et politesse. Il passait en revue les paquets d’herbes suspendues aux solives, comme s’il eût cherché ce que pouvait bien désirer son client. Cogolin se rassurait un peu. Le sorcier lui faisait l’effet d’être un homme comme un autre, après tout !

"Ce n’est pas pour moi, dit Cogolin ; c’est pour mon maître, c’est-à-dire...

— Taisez-vous !" gronda Lorenzo en incendiant Cogolin de son regard.