Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/95

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— N'y suis-je donc pas déjà venue ?" dit froidement la reine en prenant à peine la précaution de baisser la voix pour ne pas être entendue de Léonora.

Mais elle eût pu parler haut : Léonora semblait avoir oublié la reine et Concini ; elle les avait peut-être oubliés vraiment. Elle s’avançait lentement vers Giselle. Et Léonora se mettait à soigner Giselle, à lui faire respirer des cassolettes, à lui humecter les tempes.

"Belle, oh ! si belle ! Et moi, si laide ! Laide ? Je suis laide, et c’est là le poison de ma vie ! Celle-ci est belle, et Concino l’adore pour sa beauté… Eh bien ! je la hais la beauté, moi ! Je veux ma part d’amour ! Et ma part, c’est Concino. Malheur à qui me l’enlèvera !... Celle-ci mourra comme est morte Mlle de Pons, comme est morte Mme de Givernoy, comme est morte cette bourgeoise de la rue Saint-Martin… comme meurent l’une après l’autre toutes celles qui ont connu le baiser de Concino, en sorte que ses baisers distillent du poison et que son amour sent la mort !"

Voilà ce que songeait Léonora Galigaï tandis que Giselle revenait au sentiment des choses et ouvrait les yeux. Le premier mot de Léonora fut :

"Rassurez-vous, mademoiselle : votre père n'est pas arrêté ; votre mère n'est nullement prisonnière en ce logis. M. le Maréchal d'Ancre a menti."

D'un bond, Giselle fut debout ; la vie lui revint à flots, elle saisit les deux mains de Léonora, qu’elle étreignit convulsivement dans les siennes ; et transfigurée, radieuse, éclatante de beauté, elle murmura ardemment :

"Votre nom, madame ! Votre nom, ô vous qui me sauvez du plus effroyable désespoir ! Votre nom, que pas un jour ne se passe où je ne le bénisse au fond de mon cœur !

— Je suis la marquise d'Ancre", répondit Léonora avec une terrible simplicité.

Giselle frissonna. Un froid glacial la pénétra jusqu’aux moelles. Elle recula, d’instinct. Alors son regard se croisa avec celui de Léonora, et elle comprit qu’elle était condamnée… Elle se détourna, et alors elle vit la reine qu’elle reconnut à l’instant. En deux pas, elle fut devant Marie de Médicis, et, redevenue vaillante, intrépide, puisqu’elle n’avait plus à craindre que pour elle-même :

"Madame, prononça-t-elle avec un accent d'adorable dignité, vous êtes la mère du roi qui représente la justice. J'en appelle à vous de la contrainte qui m'est faite.

— Justice sera faite, dit Marie de Médicis d’un ton que Catherine, la grande Catherine de Médicis eût admiré comme un modèle de mortelle ironie. M. le maréchal m’assure qu’il a dû vous faire saisir et amener ici pour vous interroger au sujet d’une conspiration. C’est bien cela, maréchal."

Concini s'inclina. Il vacillait. Il eût hurlé de rage et de douleur.