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ÉRIC LE MENDIANT.

— Vous avez eu à vous en plaindre…

— Une seule fois.

— Et depuis, vous ne lui faites plus l’aumône ?…

— Moi, je l’ai chassé de la ferme… mais Margaït lui donne encore de temps à autre, à ce que j’ai appris.

— Alors, je commence à m’expliquer l’espèce de haine qu’il vous a vouée.

— Ah ! il me hait.

— Il dit du moins beaucoup de mal de vous…

— Mais on n’y ajoute pas foi…

— Tanneguy, c’est une des erreurs les plus funestes des natures loyales et droites, de ne jamais croire à la puissance des méchants !… il est bien souvent difficile, même aux hommes les plus vertueux, de se préserver de leurs terribles atteintes.

— Et qu’importe ce que cet Éric peut dire de moi ! s’écria Tanneguy en redressant le front avec une fierté pleine de noblesse ; il y a vingt ans que j’habite le pays, monsieur l’abbé, et j’y ai assez d’amis dévoués, pour leur laisser le soin de me défendre contre les calomnies de tous les mendiants…

— Mais s’il ne s’agissait pas précisément de vous ?

— Comment ?…

— S’il s’agissait de Margaït, par exemple ?

— Margaït !…

— Vous ne resteriez pas, je le suppose, tout à fait aussi indifférent aux calomnies qui pourraient l’atteindre.

— Il a dit du mal de Margaït !…

Le père Tanneguy s’était levé à moitié, son visage avait tout à coup pâli, et sa main puissante et robuste s’appuyait carrément sur la table de chêne.

Mais l’abbé Kersaint était trop l’ami de Tanneguy, pour ne pas aller jusqu’au bout, et il poursuivit, malgré la colère qui grondait sourdement dans la poitrine du père de Margaït.