Page:Zevaco - Le boute-charge, 1888.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
LE BOUTE-CHARGE

bord, elle ne fit pas un mouvement, ne rougit pas. Mais je pus remarquer un imperceptible tressaillement qui fit frissonner ses épaules ; mais je pus voir ses yeux se voiler, et une larme vint, qui tomba lentement.

Les trompettes sonnaient la marche.

Il fallut s’arracher à cette étreinte à distance ; je m’enfuis en allongeant le trot ; j’éprouvais ce serrement de cœur qui nous étouffe lorsque nous quittons l’aimée. Car, pendant cette minute fugitive, je la sentis m’aimer et ne pus me défendre de l’adorer.

— Comme vous voilà défait, me dit en riant mon officier. Parions que vous n’avez guère dormi. On s’amuse donc à C*** ?

— Oui, mon lieutenant, on s’y amuse fort.

— Nuit joyeuse, n’est-ce pas ?

— Non, mon lieutenant, nuit d’amour.

Nous partîmes. Et tout au fond de moi, dans l’écrin de mes plus chers souvenirs, je garde précieusement cette larme nacrée, cette perle fine que daigna m’offrir en passant une inconnue dont je ne sus jamais le nom.