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LE BOUTE-CHARGE

et on attendait de nouvelles dépêches. Nous exécutâmes les ordres reçus et nous attendimes le moment de nous mettre en route.

Une grève ! que de pensées ce mot-là réveillait dans mon esprit ! que de souvenirs sanglants il évoquait ! que de choses sombres, faites de misères et de vexations, il me faisait entrevoir ! Une tristesse inquiète m’envahissait. Allions-nous donc être obligés de charger des malheureux que la faim avait peut-être poussés à cet acte grave et désespéré : la grève ? Allait-on nous commander le feu contre des hommes qui devraient un jour, dans nos rangs, combattre l’ennemi, le vrai, le seul ennemi, l’étranger ? Allions-nous verser le sang français ? Une répugnance insurmontable me venait. J’étais troublé. Pour la première fois, je manquais de confiance en moi, en mes armes. Pour la première fois, se glissait dans mon esprit une défiance instinctive dont je ne me rendais pas un compte exact ; défiance contre moi-même, contre la grève, contre tout le monde. Ah ! s’il se fût agi d’une mobilisa-