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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/138

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LES VOLEURS ET L’ÂNE

qui brillent : jupes de soie, colliers d’or, pierreries, amants peignés et fardés. Quant aux ressorts de l’amusante machine, peu leur importe qu’ils fonctionnent bien ou mal. Elles n’ont pas charge d’âmes. Elles se connaissent en cheveux noirs, en lèvres amoureuses, mais elles sont ignorantes des choses du cœur. C’est ainsi qu’elles se jettent dans les bras du premier niais venu, confiantes en sa grande mine. Elles l’aiment, parce qu’il leur plaît ; il leur plaît parce qu’il leur plaît. Un jour, le niais les bat. Alors elles crient au martyre, elles se désolent, disant qu’un homme ne peut toucher à un cœur sans le briser. Les folles, que ne cherchent-elles la fleur d’amour où elle fleurit !

Antoinette applaudit de nouveau. Le discours, tel que je le connaissais, s’arrêtait là. Léon l’avait prononcé tout d’un trait, comme ayant hâte de le finir. La dernière phrase dite, il regarda la jeune femme et parut rêver. Puis, ne déclamant plus, il ajouta :

― Je n’ai eu qu’une bonne amie. Elle avait dix ans, et moi douze. Un jour elle me trompa pour un gros dogue qui se laissait tourmenter sans jamais montrer les dents. Je pleurai beaucoup, je jurai de ne plus aimer. J’ai tenu ce serment. Je n’entends rien aux femmes. Si j’aimais, je serais jaloux et maussade ; j’aimerais trop, je me ferais haïr ; on me tromperait, et j’en mourrais.

Il se tut, les yeux humides, tâchant vainement de rire. Antoinette ne raillait plus ; elle l’avait écouté, toute sérieuse ; puis, s’écartant de ses voisins