Aller au contenu

Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
SŒUR-DES-PAUVRES

Comme elle approchait, elle se souvint que, dans sa hâte, elle avait oublié de prier Dieu. Elle s’agenouilla sur le bord du sentier. Là, seule, perdue dans cette immense et triste sérénité de la nature endormie, elle dit son oraison avec cette voix d’enfant, si douce, que Dieu ne sait la distinguer de celle des anges. Elle se dressa bientôt. Le froid l’ayant saisie, elle pressa le pas.

Il y avait grande misère dans le pays, surtout cette année-là, où l’hiver était rude et le pain si cher, que les riches seuls en pouvaient acheter. Les pauvres gens, ceux qui vivent de soleil et de pitié, sortaient dès le matin pour voir si le printemps ne venait pas, ramenant avec lui des aumônes plus larges. Ils allaient par les routes ou s’asseyaient sur les bornes, aux portes des villes, implorant les passants ; car il faisait si froid, dans leurs greniers, qu’autant valait loger au grand chemin. Et ils étaient en si grand nombre, qu’on aurait pu en peupler un gros village.

Sœur-des-Pauvres avait ouvert le petit sac. En entrant dans la ville, elle vit venir à elle un aveugle conduit par une petite fille qui la regardait tristement, la prenant pour une sœur, à la voir si mal vêtue.

― Mon père, dit-elle au pauvre vieux, tendez vos mains. Jésus m’envoie vers vous.

Elle s’adressait au bonhomme, parce que les doigts de la fillette étaient trop mignons et qu’ils n’auraient guère contenu qu’une dizaine de gros sous. Aussi, pour emplir les mains que l’aveugle lui tendit, il lui fallut