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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

mille humaine. De cette pensée de justice est née une société modeste, un peu monotone au premier regard, n’ayant pas de fortes personnalités, mais d’un ensemble admirable, ne nourrissant aucune haine et constituant un véritable peuple, dans le sens le plus exact de ce mot.

Donc, ni petits ni grands, ni riches ni pauvres, pas de dignités, pas d’échelle sociale, les uns en haut, les autres en bas, et ceux-ci poussant ceux-là ; une nation insouciante, vivant de tranquillité, aimante et philosophe ; des hommes qui ne sont plus des hommes. Cependant, aux premiers jours du royaume, pour ne pas trop se faire montrer au doigt par leurs voisins, ils avaient sacrifié aux idées reçues en nommant un roi. Ils n’en sentaient pas le besoin ; ils virent dans cette mesure une simple formalité, même un moyen ingénieux d’abriter leur liberté à l’ombre d’une monarchie. Ils choisirent le plus humble des citoyens, non point assez bête pour qu’il pût devenir méchant à la longue, mais d’une intelligence suffisante pour qu’il se sentît le frère de ses sujets. Ce choix fut une des causes de la paisible prospérité du royaume. La mesure prise, le roi oublia peu à peu qu’il avait un peuple, le peuple, qu’il avait un roi. Le gouvernant et les gouvernés s’en allèrent ainsi côte à côte dans les siècles, se protégeant mutuellement, sans en avoir conscience ; les lois régnaient par cela même qu’elles ne se faisaient pas sentir ; le pays jouissait d’un ordre parfait, résultant de sa position unique dans l’his-