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AVENTURES DU GRAND SIDOINE

— Ainsi, vous avouez que vous avez faim ?

— Faim ! ai-je dit cela ? Certes, j’ai toujours faim.

— Et vous mangerez volontiers une pêche ?

— La pêche est un fruit que j’estime pour le velouté de sa peau. Merci, je ne puis manger. J’ai bien autre chose en tête. Enfin je viens de trouver ce que je cherchais depuis une heure.

— Ça, dit Sidoine impatienté, que cherchiez-vous donc, monsieur l’affamé, si ce n’est un morceau de pain ?

— Bon ! s’écria le pauvre diable, seconde trouvaille ! Un géant en chair et en os. Monsieur le géant, je cherchais une idée.

À cette réponse, Sidoine s’assit sur le bord de la route, prévoyant de longues explications.

— Une idée ! reprit-il, quel est ce mets ?

— Monsieur le géant, continua l’homme sans répondre, je suis poëte de naissance. Vous ne l’ignorez pas, la misère est mère du génie. J’ai donc jeté ma bourse à la rivière. Depuis cet heureux jour, je laisse aux sots le triste soin de chercher leur repas. Moi, qui n’ai plus à m’occuper de ce détail, je cherche des idées, le long des routes. Je mange le moins possible pour avoir le plus possible de génie. Ne perdez pas votre pitié à me plaindre ; je n’ai vraiment faim que lorsque je ne trouve pas mes chères idées. Les beaux festins parfois ! Tantôt, en voyant votre petit ami d’une tournure si galante, il m’est venu à la pensée deux ou trois strophes exquises : un mètre harmonieux, des rimes