Page:Zola - Fécondité.djvu/110

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férables à cent mille malheureux, pourquoi donc ces cent mille malheureux, venus en trop, disait-on, n’auraient-ils pas apporté leur effort à élargir la vie, à être aussi heureux que les dix mille privilégiés, dont on voulait assurer l’égoïste bien-être, en châtrant la nature ? Et ce fut comme une délivrance, un souffle vivifiant d’infini, lorsque cette certitude lui revint que la fécondité avait fait la civilisation, que c’était le trop d’êtres, ce pullulement des misérables, exigeant leur part légitime de bonheur, qui avait soulevé les peuples, de secousse en secousse, jusqu’à la conquête de la vérité et de la justice. Il fallait être trop, pour que l’évolution pût s’accomplir, l’humanité déborder sur le monde, le peupler, le pacifier, tirer de lui toute la vie saine et solidaire dont il était gonflé. Puisque la fécondité faisait la civilisation, et que celle-ci réglait celle-là, il était permis de prévoir que, le jour où les temps seraient remplis, où il n’y aurait qu’un peuple fraternel sur le globe entièrement habité, un équilibre définitif s’établirait. Mais, jusque-là, dans des mille ans et des mille ans, c’était œuvre juste, œuvre bonne, que de ne point perdre une semence, de les confier toutes à la terre, comme le semeur dont la moisson ne saurait être trop abondante, cette moisson des hommes où chaque homme de plus est une force et une espérance.

Maintenant, par la fenêtre ouverte, le grand murmure prolongé, indistinct, que Mathieu entendait venir de la tiède nuit de printemps, n’était autre que le frémissement de l’éternelle fécondité. Il prêtait l’oreille, il était baigné dans ce frisson, comme dans le petit souffle de Marianne, qui ne dormait toujours pas, immobile, sans autre signe de vie que l’haleine légère dont elle lui effleurait le cou. Tout germait, tout poussait, s’épanouissait, en cette saison d’amour. Du ciel sans bornes, de la palpitation des étoiles, tombait la loi d’universel accou-