Page:Zola - Fécondité.djvu/15

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tendresse, la foi, la mutuelle certitude du bonheur dans le don réciproque, qui font l’indissoluble mariage. Et ils furent ravis de s’épouser sans un sou, de n’apporter que leur grand cœur, à jamais. Mathieu fut mis à deux mille quatre cents francs, et son cousin par alliance, Alexandre, lui fit simplement entrevoir une association possible, pour beaucoup plus tard.

D’ailleurs, peu à peu, Mathieu Froment allait se rendre indispensable. Le jeune maître de l’usine, Alexandre Beauchêne, venait de traverser une crise inquiétante. La dot que son père avait dû tirer de sa caisse pour marier Sérafine, d’autres fortes dépenses occasionnées par cette fille rebelle et perverse, l’avaient forcé à diminuer un instant son capital d’exploitation. Puis, au lendemain de sa mort, on s’était aperçu qu’il avait eu l’insouciance, assez fréquente, de ne pas laisser de testament ; de sorte que Sérafine, très âprement, s’était mise en travers des intérêts de son frère, réclamant sa part, voulant l’obliger à vendre l’usine. Toute la fortune avait failli de la sorte être dépecée, l’usine coupée en morceaux, anéantie. Beauchêne en frémissait encore de terreur et de colère, heureux d’avoir enfin réussi, pour désintéresser sa sœur, à lui payer trop largement sa part, en argent. Mais la plaie ouverte restait béante, et c’était afin de la combler qu’il avait épousé le demi-million de Constance, fille laide, dont il trouvait la possession amère, dans ses appétits de beau mâle, et si sèche, et si maigre, que lui-même l’appelait « cet os », avant de consentir à en faire sa femme. En cinq ou six années, tout fut réparé, les affaires de l’usine doublèrent, une grande prospérité se déclara. Et Mathieu, qui était devenu un des collaborateurs les plus actifs, les plus nécessaires, avait fini par occuper le poste de dessinateur en chef, aux appointements de quatre mille deux cents francs.

Morange, le chef comptable, dont le bureau était voi-