Page:Zola - Fécondité.djvu/158

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— Vous savez qu’il est solide comme un chêne, ce petit. Mais, que voulez-vous ? les femmes s’inquiètent toujours… Moi, vous me voyez, je suis bien tranquille.

Puis, avec un gros rire :

— Quand on n’en a qu’un, on le garde.

Ce matin-là, une heure plus tard, une furieuse dispute qui éclata, dans l’atelier des femmes, entre les deux sœurs Norine et Euphrasie, mit en révolution toute l’usine. Norine, grosse de six mois, avait pu jusque-là cacher cette grossesse, en se serrant à étouffer, dans la crainte d’être battue par son père et de se voir forcée de quitter l’atelier. Mais sa sœur Euphrasie, couchant avec elle, était forcément au courant, et dans l’âpreté de son exécrable caractère, dans la jalousie mauvaise dont elle la poursuivait, elle ne se gênait pas pour lancer des allusions désobligeantes, qui faisaient trembler l’autre, toujours à la veille d’être ainsi vendue. Matin et soir, la belle fille en pleurait toutes les larmes de son corps, d’avoir eu la bêtise de s’être laissé faire cet enfant par un homme qui la lâchait, devant lequel elle n’osait seulement pas bouger, et de se trouver maintenant à la merci de son laideron de sœur, si rageuse, si sèche et si dure. Et l’éclat qu’elle redoutait tant, qu’elle sentait venir, inévitable, se produisit, ce matin-là, à propos de rien, pour une bêtise.

Dans la salle vaste et longue, les petites meules ronflaient, les cinquante et quelques polisseuses se courbaient sur leurs établis lorsqu’un bruit de querelle leur fit lever la tête. D’abord, Euphrasie avait accusé Norine, à demi-voix, de lui avoir pris un morceau de papier de verre.

— Je te dis qu’il était là et que je t’ai vu allonger la main. Puisque je ne le trouve plus, ça ne peut être que toi ; bien sûr.

Norine ne répondait pas, haussait les épaules. Elle