Page:Zola - Fécondité.djvu/17

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hier soir, je ne me suis couché qu’à une heure. Et tout ce travail qui m’attendait ici, ce matin ! Il faut vraiment une santé de fer.

Jusque-là, il s’était montré un travailleur prodigieux, réellement doué d’une résistance, d’une énergie extraordinaires. Il avait en outre fait preuve d’un flair constant pour les opérations heureuses. Levé le premier dans l’usine, il voyait tout, prévoyait tout, l’emplissait de son zèle retentissant à en doubler chaque année le chiffre d’affaires. Mais, depuis quelque temps, la fatigue mordait davantage sur lui. Toujours, il s’était fortement amusé, faisant une large part, dans sa vie de labeur, à ses jouissances, celles qu’il avouait et celles qu’il n’avouait pas ; si bien que, maintenant, certaines noces, comme il disait, le mettaient sur le flanc.

Il regardait Mathieu.

— Vous avez l’air d’aplomb, vous. Comment faites-vous pour ne paraître jamais fatigué ?

Le jeune homme, en effet, debout devant sa table à dessin, semblait avoir la santé robuste d’un jeune chêne. Grand, mince, brun, il avait le front des Froment, large et haut, en forme de tour. Il portait ses épais cheveux coupés ras, la barbe en pointe, un peu frisante. Et ce qui caractérisait surtout le visage, c’étaient les yeux, profonds et clairs, vifs et réfléchis à la fois, presque toujours souriants. Un homme de pensée et d’action, très simple et très gai, très bon aussi.

— Oh ! moi, répondit-il en riant, je suis sage.

Mais Beauchêne protestait.

— Ah ! non, ce n’est pas vous qui êtes sage ! On n’est pas sage, quand on a quatre enfants déjà, à vingt-sept ans. Et deux jumeaux, votre Blaise et votre Denis, pour commencer ! Et puis votre Ambroise, et puis votre petite Rose ! Sans compter l’autre fillette que vous avez perdue à sa naissance, avant celle-ci. Ça vous en ferait cinq,