Page:Zola - Fécondité.djvu/188

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cuisine, cinq jours après son arrivée. Que voulez-vous ? elle débarquait, elle est encore ahurie de l’aventure, sans savoir au juste ce qui s’est passé… Naturellement, la mère du grand flandrin l’a flanquée dehors. La pauvre petite a été ramassée dans la rue, et c’est l’Assistance publique qui l’a placée ici. Mais je vous assure qu’elle est très gentille, très travailleuse, si courageuse même, que, malgré son état, elle s’est mise au service d’une autre jeune personne enceinte, qui occupe une chambre séparée, là, derrière cette cloison. C’est permis, les pauvres ici peuvent servir les riches… Quant à cette autre jeune personne, qui n’a donné que le nom de Rosine, oh ! c’est une aventure dont Victoire a reçu la confidence… »

La porte s’ouvrit, elle fut interrompue, et elle s’écria :

— « Eh ! c’est justement Victoire. »

Mathieu vit entrer une petite fille pâle, dont les dix-huit ans en paraissaient à peine quinze, ses cheveux roux ébouriffés, envolés, le nez en l’air, les yeux minces, la bouche grande. Elle était à peine propre, avec cet air encore effaré de son accident, regardant les gens comme pour leur demander des explications. Et, derrière le pauvre être, il eut la brusque vision des milliers de tristes créatures que la province envoie au pavé de Paris, et dont l’histoire est la même, long cortège des servantes engrossées et chassées, au nom de la vertu bourgeoise. Que deviendrait celle-ci ? Quelles places sans fin ferait-elle, et quelles autres grossesses l’attendaient ?

— « Amy n’est pas partie ? demanda-t-elle. Je veux lui dire adieu. »

Lorsqu’elle eut aperçu la valise encore au pied du lit, et que Norine lui eut présenté Mathieu comme un ami très discret, toutes deux dirent enfin à ce dernier ce qu’elles savaient sur l’Anglaise. On ne pouvait rien affirmer de précis, elle baragouinait une langue impossible, si peu expansive en outre, qu’on ignorait tout de son