Page:Zola - Fécondité.djvu/19

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expliqué la difficulté qui se présentait, les deux autres le suivirent, pour juger du travail par eux-mêmes. Ils allaient s’engager dans un couloir, lorsque le patron, voyant ouverte la porte de l’atelier des femmes, voulut le traverser, désireux d’y jeter son coup d’œil habituel. C’était une salle vaste et longue, où les polisseuses, en blouse de serge noire, assises sur deux rangs devant leurs petits établis, ponçaient les pièces et les passaient à la meule. Presque toutes étaient jeunes, quelques-unes jolies, la plupart de face commune et basse. Et une odeur de fauve se mêlait à celle des huiles rances.

Pendant le travail, la règle était le silence absolu. Toutes bavardaient. Puis, dès que le maître fut signalé, brusquement les voix tombèrent. Il n’y en eut qu’une, qui, la tête tournée, ne voyant rien, se disputant avec une autre, continua, furieuse. C’étaient les deux sœurs, justement deux filles du père Moineaud : Euphrasie, la cadette, celle qui criait, une maigriotte de dix-sept ans, aux cheveux pâles, à la face longue, sèche et pointue, pas belle et l’air méchant ; et l’aînée, Norine, dix-neuf ans à peine, une jolie fille celle-là, une blonde aussi, mais à la chair de lait, et grasse, et forte, des épaules, des bras, des hanches, une claire figure de soleil, avec des cheveux fous et des yeux noirs, toute la fraîcheur de ces museaux parisiens où éclate la beauté du diable.

Sournoisement, Norine laissait aller Euphrasie, toujours en querelle avec elle, heureuse de la faire prendre en faute. Et il fallut que Beauchêne intervînt. Il se montrait d’habitude très sévère dans l’atelier des femmes, sans complaisance aucune, ayant eu jusque-là pour théorie qu’un patron est perdu, qui s’oublie à rire avec ses ouvrières. En effet, malgré les gros appétits de mâle qu’il promenait au dehors, disait-on, pas la moindre histoire ne courait sur ses ouvrières et lui, il n’avait encore touché à aucune.