Page:Zola - Fécondité.djvu/200

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Puis lorsque Valérie s’en fut allée, sans une parole, Mme  Bourdieu s’étonna d’apercevoir Mathieu, qui s’était mis debout. Elle devint brusquement sérieuse, mécontente sans doute d’avoir parlé. Mais Norine, de son côté, arrivait, et il y eut une gaie conversation, car la sage-femme avouait volontiers sa tendresse particulière pour les jolies filles. Au moins, d’être jolie, disait-elle, ça excusait bien des choses. Le café noir fut permis, du moment que Norine offrait de le payer de sa poche. Et, lorsque Mathieu eut promis à cette dernière de revenir la voir, il partit à son tour.

— « La prochaine fois, apportez-moi des oranges ! » lui cria dans l’escalier la belle fille, toute rose et toute rieuse.

Comme Mathieu descendait vers la rue La Boétie, il s’arrêta brusquement. Au coin de cette rue, il avait aperçu Valérie, debout sur le trottoir, causant avec un homme ; et, dans cet homme il reconnaissait Morange, le mari. Une soudaine certitude l’éclaira : Morange était venu avec sa femme, l’avait attendue dans la rue, pendant qu’elle montait chez Mme  Bourdieu ; puis, maintenant, tous les deux restaient là, effarés, hésitants, en détresse, à tenir conseil. Ils ne sentaient même pas la bousculade des passants, tels que de pauvres gens tombés à quelque torrent furieux, assourdis par le danger de mort où ils sont, devenus la proie inerte du destin. Leur angoisse était visible, un affreux combat se livrait en eux. Dix fois, ils changèrent de place, cédant aux furies qui les agitaient. Ils allaient, venaient, piétinaient fiévreusement, puis s’arrêtaient encore, pour reprendre leur discussion tout bas, immobiles, comme figés par leur impuissance à supprimer les faits. Un moment, Mathieu éprouva un soulagement immense, il les crut sauvés car ils avaient tourné le coin de la rue La Boétie, ils rentraient vers Grenelle d’une marche abattue et résignée. Mais il y eut