Page:Zola - Fécondité.djvu/217

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tombe ici, à moitié morte, blessée au ventre par un coup de pied de son mari, pleurant à chaudes larmes, disant qu’elle ne voulait pas d’enfant : croyez-vous que j’aie eu raison de la faire avorter, celle-là ? L’autre semaine, c’était une fille de ferme, grosse de six mois, arrivant à pied de la Beauce, chassée de partout, poursuivie à coups de pierre par les enfants, réduite à coucher dans les meules et à voler la pâtée des chiens : ne pensez-vous pas que c’était aussi une charité de la délivrer tout de suite, pour qu’elle ne traînât pas plus longtemps son misérable fruit ? Et toutes celles que la province m’envoie, qui n’ont qu’un saut à faire de la gare Saint-Lazare ici, des bourgeoises, des ouvrières, me jurant qu’elles tueront leur enfant, si je ne les en débarrasse pas ! Et toutes celles de Paris qui n’ont également que cette menace à la bouche, beaucoup de pauvres filles, mais aussi beaucoup de dames riches, heureuses, respectées ! Toutes, toutes, entendez-vous ! sont résolues aux pires extrémités, à risquer de s’empoisonner avec des drogues, à se laisser tomber dans un escalier pour attraper quelque mauvais coup libérateur, à s’accoucher elles-mêmes, guettant l’enfant, l’étouffant ou le portant à la rue. Alors, quoi ? que voulez-vous que je fasse ? Croyez-vous qu’on ne trouve déjà pas assez de petits cadavres dans les égouts et dans les fosses d’aisances ? Est-ce que, si nous refusions, le nombre des infanticides ne doublerait pas ? Est-ce que, sans même tenir compte de l’aide charitable que nous leur apportons, à ces tristes femmes, il n’y a pas là un dérivatif nécessaire, une besogne préventive de prudence sociale qui évite bien des drames et des crimes ?… Moi, monsieur, quand je suis devant un homme intelligent tel que vous, je ne cache pas ma façon de voir, qui est très nette. Il y a trois degrés. S’arranger pour que la femme accouche d’un mort-né, ce que je considère comme absolument licite, car la femme, dans son libre arbitre, a bien le droit,