Page:Zola - Fécondité.djvu/219

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absolument rien entendu, pas un cri, pas un souffle. Elle ne venait de s’apercevoir de la chose qu’en se réveillant… La voyez-vous la pauvre enfant, renfonçant sa douleur, ravalant ses cris, attendant l’enfant pour l’étouffer, de ses deux mains fiévreuses ? Puis, la voyez-vous, sans force après ce dernier effort, laissant couler tout le sang de ses veines, s’endormant à son tour dans la mort avec le petit être, que ses deux mains raidies n’avaient pas lâché ? Naturellement, j’ai dit à la cuisinière que ça ne me regardait pas et je l’ai envoyée chercher un médecin, afin qu’il constatât le décès… Mais vous me croirez si vous voulez, monsieur, je ne suis pas remise de cette aventure. Oui, c’est un vrai remords pour moi d’avoir repoussé cette fille. Et je vous le demande encore, je l’aurais fait avorter, celle-là, est-ce que vous me jetteriez la pierre, est-ce que je n’aurais pas fait en somme une bonne action ?

— Ah ! pour sûr ! » cria Céleste, qui avait suivi passionnément l’histoire.

Mathieu avait senti son cœur se rompre. Le dernier degré de l’horreur était franchi, il ne pouvait descendre plus bas. C’était bien l’enfer suprême de la maternité. Il se rappelait ce qu’il avait vu chez Mme  Bourdieu, la maternité coupable et clandestine, les servantes séduites, les épouses adultères, les filles incestueuses venant accoucher en secret, sans nom, de tristes êtres ignorés qui tombaient à l’inconnu. Puis ici, chez la Bouche, c’était le crime hypocrite, le fœtus étouffé avant d’être, ne naissant que mort, ou par la violence expulsé, encore incomplet, expirant au premier souffle d’air. Puis, ailleurs, partout, c’était l’infanticide, le meurtre avoué, l’enfant né viable étranglé, coupé en morceaux parfois, plié dans un journal, oublié sous une porte. Le chiffre des mariages n’avait pas décru, la natalité avait baissé d’un quart, et tous les égouts de la grande ville roulaient