Page:Zola - Fécondité.djvu/27

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Il n’eut pas encore de réponse, un domestique entrait dire qu’une femme, avec un enfant au bras, désirait parler à madame. Et Beauchêne, ayant reconnu la femme de Moineaud, l’ouvrier mécanicien, la fit entrer. Boutan, qui s’était levé, resta curieusement.

La Moineaude était une femme grosse et courte, comme son mari, d’une quarantaine d’année, usée avant l’âge, avec une face grise, des yeux troubles, des cheveux rares et décolorés, une bouche molle où beaucoup de dents manquaient déjà. Ses nombreuses couches l’avaient déformée, et elle s’abandonnait.

— Eh bien ! ma brave femme, que voulez-vous ? demanda Constance.

Mais la Moineaude restait effarée, gênée par tout ce monde, qu’elle ne devait pas s’attendre à rencontrer là. Elle se taisait, ayant bien compté trouver madame seule.

— C’est votre dernier ? lui demanda Beauchêne, en regardant l’enfant qu’elle avait sur le bras, blême et chétif.

— Oui, monsieur, c’est mon petit Alfred, il a dix mois et j’ai dû le sevrer, parce que le lait ne venait plus… Avant celui-là, il y en a eu neuf autres, dont trois sont morts. Mon aînée, Eugène, est militaire, là-bas, au diable, au Tonkin. Vous avez à l’usine mes deux grandes filles, Norine et Euphrasie. Et il m’en reste trois à la maison, Victor, qui a quinze ans, puis Cécile et Irma, dix ans et sept ans… Alors, ça s’est arrêté, j’ai bien cru que c’était fini d’en pondre plus souvent qu’à mon tour. J’étais contente. Mais voilà que ce gosse est encore venu… À quarante ans, si c’est permis ! Il faut que le bon Dieu nous ait abandonnés, mon pauvre mari et moi.

Un souvenir égaya Beauchêne.

— Vous savez ce qu’il dit votre mari ? Il dit que ce n’est pas lui, que c’est vous qui les faites, les enfants.

— Ah ! oui, il plaisante. Pour ce que ça lui coûte d’en