Page:Zola - Fécondité.djvu/29

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— Enfin, ma brave femme, que puis-je faire pour vous ?

— Mon Dieu ! madame, je suis bien ennuyée… C’est une chose que Moineaud n’a pas osé demander à monsieur Beauchêne. Moi-même, j’espérais vous trouver seule et vous prier d’intercéder pour nous… Voilà, nous vous aurions une très grande, très grande reconnaissance, si l’on voulait bien prendre notre petit Victor à l’usine.

— Mais il n’a que quinze ans, dit Beauchêne. Attendez qu’il en ait seize, la règle est formelle.

— Sans doute. Seulement, on pourrait peut-être mentir un petit peu. Cela nous rendrait un si grand service.

— Non, c’est impossible.

De grosses larmes parurent dans les yeux de la Moineaude. Et Mathieu, qui écoutait passionnément, fut bouleversé. Ah ! cette misérable chair à travail qui venait s’offrir, sans attendre d’être mûre pour l’effort ! l’ouvrier qui veut mentir, que la faim oblige à se mettre contre la loi qui le protège !

Lorsque la Moineaude fut partie, désespérée, le docteur continua, sur le travail des enfants et des femmes. Dès les premières couches, une femme ne peut rester à l’usine : la grossesse, l’allaitement, la clouent au logis, sous peine de dangers graves pour elle et pour le nourrisson. Et, quant à l’enfant, il reste anémié, estropié souvent, sans compter que son embauchement à prix réduit est une cause injuste de la baisse des salaires. Puis, il revint sur la fécondité de la misère, sur le pullulement dans les basses classes, qui n’ont rien à risquer, rien à ambitionner. N’est-ce pas la natalité la plus exécrable, celle qui multiplie à l’infini les meurt-de-faim et les révoltés ?

— Je vous entends bien, finit par dire sans se fâcher Beauchêne, en arrêtant brusquement sa promenade, qu’il