Page:Zola - Fécondité.djvu/291

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les poupons malades, remplacés par des poupons superbes, ni même parfois les filles de nouveau enceintes, qui osent se donner pour des accouchées récentes. Vous n’imaginez pas toutes les ruses meurtrières, tous les mensonges assassins que ces femmes sont capables d’inventer, par une âpreté, une cupidité d’argent extraordinaire… Et cela s’explique, le seul fait de choisir ce métier de nourrice les met, pour moi, au bas de l’échelle humaine. Il n’y a pas d’industrie plus révoltante, plus dégradante. Beaucoup, et des filles sages jusque-là, vont au mâle, de même que l’on conduit la vache au taureau, pour le lait. L’enfant, aux yeux de la nourrice de profession, n’est qu’une nécessité préalable, un moyen de commerce. Aussi, dès qu’il est fait et qu’on peut les traire, qu’importe s’il meurt, il ne compte plus. C’est le dernier degré de l’inconscience stupide, de l’animale bassesse… Et voyez la criminelle conséquence du marché honteux qui va se conclure, car si l’enfant à qui la nourrice vend son lait meurt souvent de ce lait qui n’est point celui que lui destinait la nature, il arrive presque toujours que l’enfant de la nourrice meurt lui-même d’être remporté comme un paquet encombrant et d’être mis tout de suite à la pâtée, avec les bestiaux ; de sorte qu’il y a deux victimes et que les deux mères sont toutes deux coupables de meurtre, du meurtre le plus inquiétant, le plus lâche, celui de ces pauvres êtres à peine nés, dont la disparition ne trouble l’indifférence de personne, lorsqu’elle devrait au contraire nous faire jeter à tous un grand cri de réprobation et d’effroi, devant ce massacre imbécile de nos tendresses et de nos espoirs… Ah ! le gouffre est sans fond, le pays entier y tombera, s’y engloutira, si l’on ne cesse de payer ce tribut monstrueux au néant ! »

Comme les deux hommes, en causant, s’étaient arrêtés devant la porte du réfectoire, elle resta un moment ouverte, et ils aperçurent la Couteau attablée, entre deux