Page:Zola - Fécondité.djvu/293

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D’abord, Mme  Broquette, ouvrant la porte qui donnait du bureau dans la salle commune, amena sans hâte, de la plus noble des manières, la fleur de ses nourrices, par petits groupes de trois, chacune ayant sur les bras son poupon. Il en passa ainsi une douzaine, et les plus diverses, les plus dissemblables du monde, des courtes avec de gros membres, des grandes pareilles à des perches, des brunes aux durs cheveux, des blondes aux chairs très blanches, des vives et des lentes, des laides et des agréables. Mais toutes avaient le même sourire niais et inquiet, le même dandinement d’embarras craintif, cette mine anxieuse de la servante, de l’esclave à la foire qui craint de ne pas trouver acquéreur. Elles s’offraient, se donnaient, faisaient des grâces de pauvres filles maladroites, tout de suite ensoleillées d’une joie intérieure, dès que le client avait l’air de mordre, subitement assombries, au contraire, et jetant de noirs regards aux voisines, quand celles-ci semblaient devoir l’emporter. Elles arrivaient en file d’oies, s’en retournaient de même, lourdes sur le plancher, lasses et ahuries. Et, de ces douze-là le docteur en mit trois de côté, après un bref examen. Puis, de ces trois-là, il finit par n’en garder qu’une, pour la soumettre à toute une étude approfondie.

« On voit bien que monsieur le docteur s’y connaît, se permit de dire Mme  Broquette avec un sourire flatteur. Je n’ai pas souvent de perles pareilles… Elle vient d’arriver, sans quoi elle ne serait sans doute plus là. Et je puis en répondre comme de moi-même à monsieur le docteur, car je l’ai déjà placée. »

C’était une fille d’environ vingt-six ans, brune, de taille moyenne assez forte, la figure épaisse et commune, avec une mâchoire dure. Mais, ayant servi déjà, elle se tenait bien.

« Alors, cet enfant n’est pas votre premier ?

— Non, monsieur, c’est mon troisième.