Page:Zola - Fécondité.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

retrouvèrent, dans l’allée, la Couteau et M. Broquette en grande conversation. Ce dernier était encore tout vibrant d’une querelle qu’il venait d’avoir avec le boucher ; car il bousculait sans cesse les fournisseurs, il faisait manger à ses nourrices les plus bas morceaux, des provisions avariées, acquises au rabais, de même qu’il économisait sur le blanchissage du linge, laissant tomber à l’ordure tout ce qui ne se voyait pas. Et maintenant, nez à nez, il chuchotait avec la Couteau, en jetant des coups d’œil sur les deux jolies filles qui continuaient à rire. Sans doute, il avait une idée, une bonne place où les mettre.

« Tous les métiers ! » se contenta de dire le docteur, en remontant en voiture.

Ils arrivaient à l’usine, lorsque, devant la porte même, ils firent une rencontre qui émotionna encore Mathieu. C’était Morange que sa fille Reine, après le déjeuner ramenait à son bureau, tous les deux en grand deuil. Le lendemain de l’enterrement de Valérie, il avait repris sa besogne de comptable, dans un accablement une résignation écrasée, qui ressemblait presque à de l’oubli. Dès lors, il fut clair qu’il abandonnait tout projet ambitieux de partir de l’usine, pour tenter ailleurs une haute fortune. Mais, cependant il ne put se décider à quitter son appartement, désormais trop grand et trop cher : sa femme avait vécu là, il voulait y vivre ; puis, il entendait garder ce luxe, en faire le cadeau à sa fille. Toute la faiblesse, toute la tendresse de son cœur se portait sur cette enfant, dont la ressemblance avec sa mère le bouleversait. Il la regardait pendant des heures, les yeux en larmes. C’était une grande passion qui commençait, il n’avait plus que le rêve de la doter richement, d’être heureux par elle, s’il pouvait l’être encore, et l’avarice s’était déclarée en lui, il économisait sur tout ce qui ne la touchait pas, faisait le secret projet de chercher des