Page:Zola - Fécondité.djvu/357

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pesait si fort, exécutait le traité, signait gaiement chaque cession nouvelle. Et, ce jour-là, il voulait même retenir Mathieu à dîner. Mais celui-ci avait hâte de retourner à Chantebled, où la moisson l’attendait. Si bien que Sérafine, muette et souriante jusque-là, intervint, comme il disait qu’il allait vite prendre une voiture, pour ne pas manquer son train, à la gare du Nord.

« J’ai la mienne en bas, et je vais justement dans le quartier. Désirez-vous que je vous conduise ? »

Il la regarda, ne voulut pas se donner le ridicule d’avoir peur d’elle, après tant années de rupture, certain d’ailleurs d’être invulnérable.

« Mais certainement, merci de votre amabilité. »

Dès que le coupé, tendu de soie verte, les emporta côte à côte, au trot vif du cheval, elle se montra d’une franchise charmante, très attendrie et très amicale.

« Ah ! mon ami, vous ne savez pas quel plaisir vous me faites, en acceptant ces quelques minutes d’intimité avec moi. Vous avez toujours l’air de me fuir, on dirait vraiment que vous tremblez de me voir me jeter sur vous. Sans doute, j’ai pu rêver un instant de retrouver des heures dont le souvenir m’est délicieux. Mais, mon Dieu ! que ces choses sont maintenant lointaines ! Et combien vous avez raison, de n’en vouloir rien gâter, en courant le risque d’une réalité nouvelle ! Je vous jure donc que mon désir unique est d’être votre amie, et j’ajoute que vous êtes le seul homme à qui j’ai gardé cette bonne place dans mon cœur. Aussi me sera-t-il très doux de me confier à vous, de vous dire ce que je ne conte à personne, pas aux hommes bien entendu, mais pas même aux femmes. Si vous êtes gentil, nous serons des amis sincères, et ça me fera beaucoup, beaucoup de bien. »

Elle était vraiment émue. Par quel prodige cet homme qui la dédaignait, après l’avoir possédée, l’attendrissait-