Page:Zola - Fécondité.djvu/383

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installés à la mer, du côté d’Houlgate, devait rentrer le lundi suivant. Et, quand il eut examiné la machine, dont le mécanisme ne lui plut pas, il ne put que monter serrer la main au bon Morange toujours cloué dans son bureau, devant ses registres, été comme hiver.

« Ah ! vous êtes aimable, de ne pas venir ici, sans me dire un petit bonjour. Ce n’est pas d’hier qu’on se connaît.

— Non, non ! et vous savez que j’ai beaucoup d’affection pour vous. »

C’était un Morange apaisé, revenu à la vie, riant comme aux bons jours. De l’effroyable mort de sa femme adorée, il n’avait gardé qu’une faiblesse d’esprit plus grande, prompt aux larmes, d’une bonté et d’une timidité accrues. Entièrement chauve dès quarante-six ans, il soignait de nouveau sa belle barbe, dont il se montrait fier. Et Reine seule avait accompli le prodige, cette fille qui lui refaisait une existence heureuse, chez laquelle, chaque année à mesure qu’elle grandissait, il retrouvait davantage la morte tant pleurée. Aujourd’hui, à vingt ans, Reine était Valérie même, à l’âge où il l’avait épousée, qui ressuscitait dans sa beauté, jeune pour le consoler, en un miracle de tendresse. Dès lors, le fantôme de la morte, de l’affreuse morte sur son grabat sanglant, venait d’être comme effacé, remplacé par cette claire résurrection de charme et de joie, dont la maison était pleine. Il avait cessé de trembler au moindre bruit, ne gardant de ses remords qu’un poids lourd au cœur, une douleur endormie que l’épouvante n’éveillait plus. Il s’était mis à aimer Reine d’un amour fou, infini, fait de tous les amours. Sa jeunesse renaissait, il lui semblait être marié de la veille, il revivait avec la femme désirée, qui lui était rendue vierge, qui recommençait l’amour, par un divin pardon du sort. Et toute cette passion pour une créature sacrée, qu’il ne pouvait toucher, dont il