Page:Zola - Fécondité.djvu/408

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terre, vide, tel qu’une loque humaine ; et il n’eut plus que la force de serrer les deux mains de Mathieu, en bégayant encore :

« Non, non, laissez-moi, ne me dites rien… Vous seul aviez raison. J’ai refusé la vie, et la vie a fini par tout me reprendre. »

Mathieu, pleurant, l’embrassa, resta quelques minutes encore, dans le bouge tragique, ensanglanté du plus affreux déchet de vie dont son cœur eût jusque-là souffert. Enfin, il partit, il laissa Sérafine qui se chargeait du pauvre homme, le traitant en petit enfant malade dont elle ferait à présent ce qu’elle voudrait.

À Chantebled, Mathieu et Marianne fondaient, créaient, enfantaient. Et, pendant les deux années qui se passèrent, ils furent de nouveau victorieux dans l’éternel combat de la vie contre la mort, par cet accroissement continu de famille et de terre fertile, qui était comme leur existence même, leur joie et leur force. Le désir passait en coups de flamme, le divin désir les fécondait, grâce à leur puissance d’aimer, d’être bons, d’être sains ; et leur énergie faisait le reste, la volonté de l’action, la tranquille bravoure au travail nécessaire, fabricateur et régulateur du monde. Mais, durant ces deux années, ce ne fut pas sans une lutte constante que la victoire leur resta. Ils en étaient toujours au rude début de la conquête, ils pleurèrent souvent, dans la douleur et dans l’angoisse. Comme l’ancien rendez-vous de chasse, l’étroit pavillon ne suffisait plus, ils eurent des soucis nombreux, lorsqu’ils durent installer peu à peu toute une ferme, avec ses bâtiments, ses écuries, ses étables, ses granges. Les avances d’argent étaient considérables, parfois les récoltes menacèrent de ne pas payer les mémoires des entrepreneurs. À mesure que l’exploitation s’agrandissait, elle nécessitait aussi en plus grand nombre le bétail, les chevaux, les serviteurs et les servantes, tout un personnel,