Page:Zola - Fécondité.djvu/554

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saluaient plus, ils avaient profité d’une légère discussion pour rompre, dans leur rage impuissante de tant de prospérités ininterrompues. Lepailleur considérait la création de Chantebled comme une insulte personnelle, car il n’oubliait pas ses goguenardises, ses défis, au sujet de ces landes où l’on devait ne jamais récolter que des cailloux. Et, quand il eut bien examiné les porcelaines, l’idée lui vint d’être insolent, il se retourna, il regarda de ses yeux fixes la famille, qui, débarquée trop tôt, ayant un grand quart d’heure à tuer, avant l’arrivée du train, défilait gaiement au milieu de la fête.

L’exécrable humeur du meunier, depuis deux mois, s’aggravait de la rentrée à Janville de son fils Antonin, dans des conditions déplorables. Le garçon, parti un matin à la conquête de Paris, installé par ses parents pleins d’une aveugle confiance en sa belle écriture, était resté quatre ans chez maître Rousselet, petit clerc, d’un esprit lourd, d’une paresse insigne. Il n’avait pas fait un progrès, il ne s’était lancé, peu à peu, que dans une noce facile, d’abord la tentation du café, de la fille qui passe, puis la pente fatale, l’alcool, le jeu, les amours crapuleuses. Paris conquis, c’étaient les bas plaisirs, rêvés au village, réalisés sans mesure, avec une voracité gloutonne. Tout son argent y passait, l’argent qu’il tirait de sa mère par de continuelles promesses de victoire, dont elle acceptait le mensonge dévotement, d’une foi totale devant lui, comme devant un bon Dieu. Puis, il finit par y laisser sa santé, il devint si maigre, si jaune, perdant ses cheveux à vingt-trois ans, que sa mère, prise de peur, le ramena un soir, en déclarant qu’il travaillait trop et qu’elle ne lui permettrait pas de se tuer ainsi. On le sut plus tard, Me Rousselet l’avait simplement mis à la porte. Mais cette retraite nécessaire, ce désastreux retour au bercail, n’alla pas sans faire grogner Lepailleur, qui commençait à