Page:Zola - Fécondité.djvu/613

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la qualité d’extraordinaire vigueur. Et il détermina Beauchêne à être de la visite. Puis, comme les trois hommes partaient, Constance et Valentine, désœuvrées, curieuses de cette ferme dont le pullulement si prompt restait pour elles une stupeur, eurent l’idée de les suivre, laissant sous les arbres le reste de la famille s’installer, dans la paix rieuse du bel après-midi de fête.

Les étables et les écuries se trouvaient sur la droite. Mais, pour s’y rendre, il fallait traverser la vaste cour, d’où l’on découvrait le domaine entier. Et il y eut là une halte, un brusque arrêt d’admiration, tant la grandeur de l’œuvre accomplie éclatait sous le soleil. Ils avaient connu cette terre embroussaillée, desséchée, stérile, ils la revoyaient roulant une mer de blé, couverte de moissons dont le flot montait davantage, à chaque saison nouvelle. Là-haut, sur l’ancien plateau marécageux, c’était une telle fertilité dans les terreaux amassés par les siècles, qu’on ne fumait pas encore. Ensuite, à droite, à gauche, les pentes autrefois sablonneuses s’étendaient verdoyantes, engraissées aujourd’hui par les sources qui les trempaient d’une fécondité sans cesse accrue.

Et les bois eux-mêmes, au loin, aménagés, aérés de larges clairières, semblaient déborder de plus de sève, comme si toute la vie décuplée, autour d’eux, les eût gonflés d’un redoublement de force et de puissance. C’était cette force, c’était cette puissance qui montaient du domaine entier, l’œuvre de vie enfantée, créée, le travail de l’homme engrossant la terre stérile, l’accouchant des richesses nourricières, pour une humanité élargie, conquérante du monde.

Il y eut un long silence. Séguin dit simplement de sa petite voix sèche, avec un ricanement que sa ruine personnelle aiguisait d’amertume :

« Vous avez fait une bonne affaire. Jamais je n’aurais cru ça. »