Page:Zola - Fécondité.djvu/675

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tant qu’elle ne serait pas morte, sous l’écroulement dernier des plafonds !

Cette existence de recluse, Constance ne l’employait plus, hantée de l’idée fixe, qu’à surveiller l’usine, à savoir jour par jour ce qui s’y passait. Le bon Morange, dont elle avait fait son confident, la renseignait sans malice, presque chaque soir, quand il venait causer un instant, au sortir de son bureau. Elle avait tout appris de sa bouche, les parts successivement vendues, Denis peu à peu acquéreur de la propriété totale, Beauchêne et elle-même vivant désormais des libéralités du nouveau maître. Et elle avait organisé son espionnage jusqu’à utiliser le vieux comptable, à son insu, pour connaître la vie intime de Denis, de sa femme, Marthe, des enfants, Lucien, Paul et Hortense, tout ce qu’on faisait, tout ce qu’on disait dans le pavillon modeste où le jeune ménage, malgré la fortune conquise, continuait de vivre gaiement, sans montrer aucune ambition, aucune hâte d’habiter le bel hôtel. Ils ne semblaient même pas s’apercevoir de l’entassement où ils vivaient, dans le pavillon trop étroit, tandis qu’elle était seule à occuper cet hôtel si vaste, si attristé de son deuil, où elle se trouvait comme perdue. Et elle enrageait de leur déférence, de l’attente tranquille où ils étaient de sa fin, car elle avait subi ce suprême échec de ne pouvoir les fâcher contre elle, obligée de leur être reconnaissante de sa vie heureuse, d’embrasser les enfants, quand ils lui apportaient des fleurs.

Ainsi, les mois, les années coulaient, et Morange, presque chaque soir, lorsqu’il passait un instant chez Constance, la trouvait dans le même petit salon silencieux, vêtue de la même robe noire, raidie en une même pose d’obstinée attente. De cette revanche du destin, de ce malheur des autres si patiemment espéré, jamais rien ne venait, sans qu’elle parût le moins du monde douter