lui, de trouver Norine et Cécile. Sans ça, ce n’est pas un omnibus, c’est pour sûr la faim qui lui aurait tordu le cou.
— Elles vont bien, Norine et Cécile ? interrompit Mathieu.
— Oui, monsieur Froment. Autant que je puis savoir, parce que, vous comprenez, on ne se voit pas souvent… Il ne reste guère qu’elles deux et moi, du tas que nous étions, en ne comptant pas Irma, qui nous a reniés, depuis qu’elle est dans les grandeurs. Euphrasie a eu la chance de mourir, ce brigand d’Alfred a disparu, ce qui a été un vrai soulagement tant je craignais de le voir au bagne… Et, quand j’ai des nouvelles de Norine et de Cécile, ça me fait tout de même plaisir. Vous savez que Norine est mon aînée, elle va bien avoir soixante ans. Mais elle a toujours été solide, et son garçon lui donne de l’agrément, paraît-il… Enfin, toutes les deux travaillent encore, Cécile dure toujours, elle qu’on aurait tuée d’une chiquenaude. Un gentil ménage que le leur, deux mamans pour un grand garçon, dont elles ont fait un bon sujet. »
Mathieu approuvait de la tête. Puis, gaiement :
« Mais vous aussi, Victor, vous en avez eu, des garçons et des filles, qui doivent être des papas et des mamans à leur tour. »
Le vieil ouvrier eut un geste vague au loin.
« J’en ai eu huit de vivants, un de plus que mon père… ça s’en est allé, papas et mamans à leur tour, comme vous le dites, monsieur Froment. Au petit bonheur, il faut bien vivre. Il y en a, dans le tas, qui ne mangent pas du pain blanc, oh ! non ! Et savoir, le jour où je n’aurai plus de bras, si je trouverai un enfant pour me prendre, comme Norine et Cécile ont pris le père… Enfin, que voulez-vous ? c’est de la graine de malheureux, ça pousse mal, ça ne peut pas produire quelque chose de bon. »