Page:Zola - Fécondité.djvu/740

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et fertilisée, à mesure qu’eux-mêmes se multipliaient.

Alors, la beauté de Mathieu et de Marianne apparut, celle de s’être aimés pendant soixante-dix ans, et de s’adorer encore, à cette heure, comme au premier jour. Pendant soixante-dix ans, ils avaient marché côte à côte, au bras l’un de l’autre, sans une fâcherie, sans une infidélité. Venus de si loin, du même pas confiant et sûr, ils se rappelaient certes de grandes douleurs, mais elles les avaient toujours frappés du dehors. S’ils avaient sangloté parfois, ils s’étaient consolés à pleurer ensemble. Sous leurs chevelures blanches, ils avaient gardé leur foi de vingt ans, leurs cœurs restaient l’un dans l’autre, ainsi qu’au lendemain des noces, chacun ayant donné le sien, ne l’ayant jamais repris. C’était le lien d’amour indissoluble, le seul mariage, celui qui assure la vie entière, car il n’est de bonheur que dans l’éternel. Leur heureuse rencontre était d’avoir eu tous deux la puissance d’aimer, la volonté d’agir, le désir divin dont la flamme crée les mondes. Lui, dans l’adoration de sa femme, n’avait pas connu d’autre joie que cette passion de créer, regardant l’œuvre à faire, l’œuvre faite comme son unique raison d’être, son devoir et sa récompense. Elle, dans l’adoration de son mari, s’était simplement efforcée d’être la compagne, l’épouse et la mère, bonne pondeuse, bonne éleveuse selon le mot de Boutan, puis bonne conseillère surtout, douée d’un jugement délicat qui dénouait les difficultés. Et c’était ainsi que rapprochés par chaque enfant nouveau, comme par un lien de plus en plus serré, ils en étaient venus à se confondre. Ils étaient la raison, la santé, la force. Ils n’avaient toujours triomphé, au milieu des obstacles et des larmes, que grâce à cette longue entente, à cette fidélité commune, dans l’éternel renouveau de leur tendresse, dont l’armure les rendait invincibles. Ils ne pouvaient être vaincus, ils avaient tout conquis par la puissance même de leur union, sans