Page:Zola - Fécondité.djvu/79

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veillant seule dans la froide couche conjugale, jusqu’à |’heure avancée où son mari rentrerait. Lui, le mâle que sevrait leur accord, se dédommageait brutalement ailleurs, courait le risque de faire à une autre l’enfant dont sa femme ne voulait pas. Quand elle avait eu les complaisances qu’elle croyait lui devoir, si les fraudes le laissaient plus affamé encore, elle n’avait plus qu’à se coucher ainsi et à l’attendre, les soirs où, pressé par le besoin, il allait jeter la semence, au hasard de l’occasion et du vent. L’usine ne devait pas courir le danger d’être partagée un jour, Maurice devait hériter seul des millions décuplés, afin d’être un des princes de l’industrie. On fraudait sagement, sans perversion aucune, pour les affaires. Lorsque le mari s’attardait avec quelque gueuse, la femme fermait les yeux. Et c’était de la sorte que la bourgeoisie capitaliste, qui avait remplacé la noblesse ancienne, rétablissait à son profit le droit d’aînesse, aboli par elle, en s’obstinant au fils unique, contre toute morale et toute santé.

Puis, Mathieu fut distrait par des camelots qui, en criant la dernière édition d’un journal du soir, annonçaient le tirage des bons à lots d’une émission, que lançait le Crédit National. Et il revit brusquement les Morange dans leur salle à manger, il les entendit refaire leur rêve de grosse fortune, le jour où le comptable appartiendrait à une de ces maisons de grande banque, dont les chefs poussent les hommes de valeur aux plus hauts postes. Ce ménage-là, dévoré d’ambition, tremblant de voir leur fille épouser encore un petit employé besogneux, cédait à l’irrésistible fièvre qui, dans une démocratie, ravagée par le déséquilibre de l’égalité politique et de l’inégalité économique, donne à tous le besoin de franchir un échelon, de monter d’une classe. Le luxe des autres les brûlait d’envie, ils s’endettaient pour copier de loin les élégances de la classe supérieure, ils gâtaient jusqu’à