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LES ROUGON-MACQUART.

maigre et droite au milieu du groupe, le poing tendu vers Montsou.

— Dire, cria-t-elle sans nommer les Hennebeau, que j’ai vu, ce matin, leur bonne passer en calèche !… Oui, la cuisinière dans la calèche à deux chevaux, allant à Marchiennes pour avoir du poisson, bien sûr !

Une clameur monta, les violences recommencèrent. Cette bonne en tablier blanc, menée au marché de la ville voisine dans la voiture des maîtres, soulevait une indignation. Lorsque les ouvriers crevaient de faim, il leur fallait donc du poisson quand même ? Ils n’en mangeraient peut-être pas toujours, du poisson : le tour du pauvre monde viendrait. Et les idées semées par Étienne poussaient, s’élargissaient dans ce cri de révolte. C’était l’impatience devant l’âge d’or promis, la hâte d’avoir sa part du bonheur, au-delà de cet horizon de misère, fermé comme une tombe. L’injustice devenait trop grande, ils finiraient par exiger leur droit, puisqu’on leur retirait le pain de la bouche. Les femmes surtout auraient voulu entrer d’assaut, tout de suite, dans cette cité idéale du progrès, où il n’y aurait plus de misérables. Il faisait presque nuit, et la pluie redoublait, qu’elles emplissaient encore le coron de leurs larmes, au milieu de la débandade glapissante des enfants.

Le soir, à l’Avantage, la grève fut décidée. Rasseneur ne la combattait plus, et Souvarine l’acceptait comme un premier pas. D’un mot, Étienne résuma la situation : si elle voulait décidément la grève, la Compagnie aurait la grève.