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LES ROUGON-MACQUART.

— Attention donc ! crièrent trois moulineurs, qui traînaient une échelle gigantesque.

Étienne avait manqué d’être écrasé. Ses yeux s’habituaient, il regardait en l’air filer les câbles, plus de trente mètres de ruban d’acier, qui montaient d’une volée dans le beffroi, où ils passaient sur les molettes, pour descendre à pic dans le puits s’attacher aux cages d’extraction. Une charpente de fer, pareille à la haute charpente d’un clocher, portait les molettes. C’était un glissement d’oiseau, sans un bruit, sans un heurt, la fuite rapide, le continuel va-et-vient d’un fil de poids énorme, qui pouvait enlever jusqu’à douze mille kilogrammes, avec une vitesse de dix mètres à la seconde.

— Attention donc, nom de Dieu ! crièrent de nouveau les moulineurs, qui poussaient l’échelle de l’autre côté, pour visiter la molette de gauche.

Lentement, Étienne revint à la recette. Ce vol géant sur sa tête l’ahurissait. Et, grelottant dans les courants d’air, il regarda la manœuvre des cages, les oreilles cassées par le roulement des berlines. Près du puits, le signal fonctionnait, un lourd marteau à levier, qu’une corde tirée du fond, laissait tomber sur un billot. Un coup pour arrêter, deux pour descendre, trois pour monter : c’était sans relâche comme des coups de massue dominant le tumulte, accompagnés d’une claire sonnerie de timbre ; pendant que le moulineur, dirigeant la manœuvre, augmentait encore le tapage, en criant des ordres au machineur, dans un porte-voix. Les cages, au milieu de ce branle-bas, apparaissaient et s’enfonçaient, se vidaient et se remplissaient, sans qu’Étienne comprît rien à ces besognes compliquées.

Il ne comprenait bien qu’une chose : le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d’un coup de gosier si facile, qu’il semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des ouvriers