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GERMINAL.

— Nom de Dieu ! s’était écriée la veuve Désir, en tapant des deux mains sur ses cuisses, c’est la faute aux gendarmes ! Qu’ils me foutent en prison, s’ils le veulent, mais il faut que je les embête !

Pour elle, toutes les autorités, tous les patrons, c’étaient des gendarmes, un terme de mépris général, dans lequel elle enveloppait les ennemis du peuple. Et elle avait accueilli avec transport la demande d’Étienne : sa maison entière appartenait aux mineurs, elle prêterait gratuitement la salle de bal, elle lancerait elle-même les invitations, puisque la loi l’exigeait. D’ailleurs, tant mieux, si la loi n’était pas contente ! on verrait sa gueule. Dès le lendemain, le jeune homme lui apporta à signer une cinquantaine de lettres, qu’il avait fait copier par les voisins du coron sachant écrire ; et l’on envoya ces lettres, dans les fosses, aux délégués et à des hommes dont on était sûr. L’ordre du jour avoué était de discuter la continuation de la grève ; mais, en réalité, on attendait Pluchart, on comptait sur un discours de lui, pour enlever l’adhésion en masse à l’Internationale.

Le jeudi matin, Étienne fut pris d’inquiétude, en ne voyant pas arriver son ancien contre-maître, qui avait promis par dépêche d’être là le mercredi soir. Que se passait-il donc ? Il était désolé de ne pouvoir s’entendre avec lui, avant la réunion. Dès neuf heures, il se rendit à Montsou, dans l’idée que le mécanicien y était peut-être allé tout droit, sans s’arrêter au Voreux.

— Non, je n’ai pas vu votre ami, répondit la veuve Désir. Mais tout est prêt, venez donc voir.

Elle le conduisit dans la salle de bal. La décoration en était restée la même, des guirlandes qui soutenaient, au plafond, une couronne de fleurs en papier peint, et des écussons de carton doré alignant des noms de saints et de saintes, le long des murs. Seulement, on avait remplacé la tribune des musiciens par une table et trois